La fille du régiment

ENGLISH VERSION

La Fille du régiment

Opéra-comique

Gaetano Donizetti

 


Dans l’euphorie musicale propre au siècle romantique, trône l’opéra comique, genre typiquement français qui a ses critères, ses règles et son public. Donizetti à Paris en épouse les conventions, s’adapte et obtient un vrai succès populaire avec La Fille du Régiment et ses « rataplans » en l’honneur de la France.  Le contexte très patriotique des années 1840 ne suffit pas à expliquer un tel succès.

Echeveau en apparence inextricable d’emprunts, de traditions, de survivances, mais aussi de nouveautés, d’audaces et d’insolence le livret et la partition de La Fille du Régiment posent  de passionnantes questions. Les réponses soulignent un magnifique équilibre entre le parlé et le chanté, ainsi qu’une histoire qui oscille entre réalisme et mélo drame et met en lumière le rôle exact de la musique. Les déboires sentimentaux d’une jolie vivandière aident à comprendre le talent d’un transfuge italien qui se met à penser français.

Conquérir Paris

A Paris, alors capitale culturelle de l’Europe, la vie musicale ne compte que deux univers, qui s’ignorent : celui domestique et clos des salons, et celui public et bruyant des scènes lyriques réparti entre l’Opéra, le Théâtre des Italiens dirigé par Rossini et l’Opéra-comique.

Donizetti submergé de commandes et dont la réputation est bien établie en Italie arrive en 1835, bien décidé à s’imposer dans le paysage lyrique français. Il vise bien sûr l’Opéra, peut-être pour mettre un point d’orgue prestigieux à sa carrière. Mais l‘accès à la « grande boutique » ne va pas de soi et reste d’autant plus difficile que Meyerbeer en a fait son fief, en triomphant avec Robert le Diable.

Au début de l’année 1840 Donizetti se tourne donc vers l’Opéra-comique en attendant le succès de La Favorite donné à l’Opéra à la fin de la même année

Après la révolution de 1830 qui marque une première démocratisation notable de la musique, l’Opéra comique attire un public bourgeois très attaché à un format de pièce et à des structures musico-dramatiques, répondant au souci de ne pas ralentir l’action ni de nuire à l’intelligibilité de l’intrigue. On y donne des opéras comiques genre qui mêle le chanté et le parlé pour un public qui a horreur de ne pas comprendre, par trop de musique. Ce genre a ses librettistes patentés.   Donizetti a choisi Bayard et Saint Georges et leur a demandé, de la construction, de la concision, de la passion, de la véhémence, voire des sentiments extrêmes.

La Fille du régiment.

A l’approche de cette partition Donizetti possède quelques années d’expérience parisienne. Il a pris la mesure du public français et reçu de précieux conseils d’Halevy et du chanteur Adolphe Nourrit.

Il va donc réussir une œuvre plus française qu’aucun autre opéra comique français… jusqu’à la caricature.

Alfred Bayard et Venoy de Saint Georges le « père éternel du livret » lui proposent un argument on ne peut plus dans l’air du temps, sur un thème à la mode : le retour en grâce de Napoléon.

On oublie les défaites au profit d’images d’Epinal, entretenues soit par d’anciens grognards, soit par quelques poètes et écrivains anti monarchistes (dont Victor Hugo). Pour eux, Napoléon incarne la grandeur de la France contrairement à Louis Philippe irrespectueusement baptisé la « poire molle ».

Ce n’est donc pas son livret qui pourrait expliquer le succès mitigé de l’œuvre à sa création.

Une histoire d’amour

La File du Régiment raconte l’histoire d’amour contrarié, entre Marie, vivandière au  21e régiment qui occupe le Tyrol et Tonio jeune paysan qui trahira son pays par amour pour elle. Tout finit par s’arranger.

Acte 1. Dans les montagnes du Tyrol.

Les soldats français, brigands qui ne respectent rien terrorisent la population dont la Marquise de Berkenfield qui aimerait bien s’enfuir. Elle est rassurée par Tonio un jeune paysan tyrolien qui voit l’armée s’éloigner.

Dans le camp des français, Sulpice vieux grognard au grand cœur, rustre et vulgaire malgré tout (il jure beaucoup) a élevé Marie dans le respect de la hiérarchie et des règles militaires, au demeurant très fantaisistes. La rigueur documentaire des librettistes reste à démontrer.

Marie, dont on apprend le passé d’orpheline et son attachement à ce régiment avoue qu’elle n’a pas d’autre famille. « Au bruit de la guerre ».

Elle raconte à Sulpice sa rencontre avec Tonio qui lui a sauvé la vie alors qu’elle allait tomber dans un précipice.

Tonio à la recherche de Marie, est menacé de mort par les soldats qui finissent par l’accepter, puisqu’il lui a sauvé la vie. Tonio fête ses nouveaux amis et Marie chante la « Ronde du régiment ». Mais les soldats doivent partir et Tonio doit s’éclipser. Avant de partir, il obtient de Marie la promesse de l’épouser.

En conversation avec Sulpice, la Marquise découvre que Marie est sa nièce. Elle souhaite donc la soustraire au 21e et lui donner l’éducation qu’elle mérite.

Marie tient à faire ses adieux au régiment.  Tonio qui vient de s’enrôler au 21e obtient le consentement de tout le régiment pour épouser Marie. Il triomphe et clame son bonheur « Ah ! mes amis… ».  Mais les amoureux doivent se séparer après de déchirants adieux. Les soldats disparaissent en vouant « au diable la Marquise »

Acte 2. Chez la Marquise.

Marie promise au fils de la Duchesse de Crakentrop doit prouver sa bonne éducation, suivre des cours de musique et chanter une romance. Maie n’est pas une élève douée ou docile.
La leçon tourne au fiasco d’autant que Sulpice qui assiste à la scène fait tout ce qu’il peut avec ses « rataplans » pour que la séance tourne mal. Marie doit choisir entre aisance matérielle avec un homme qu’elle n’aime pas ou l’amour de Tonio. Prête à céder aux instances de la Marquise elle entend le retour du 21e.  Son « Salut à la France » confirme le plaisir des retrouvailles.

Pour garder Marie, Tonio menace de dire ce qu’il sait de la Marquise. Il essaie de la faire fléchir, en vain. Il dévoile alors que Marie est la fille que La Marquise a eu avec le capitaine Robert. La Marquise finit par avouer. Le mariage doit avoir lieu mais devant le désespoir des amants la Marquise cède et Marie retourne au 21e, avec Tonio cette fois.

Un fidèle reflet français

Comique, traitement vocal et orchestration témoignent de la place tenue par la France dans la carrière de Donizetti.

La construction de l’intrigue particulièrement bien menée est irréprochable.

Rencontres et retrouvailles improbables, invraisemblable volte face de la Marquise, aveux toujours incomplets et nombreux rebondissements, tous les poncifs hérités de la comédie d’Ancien Régime (dont la leçon de musique) font de ce livret le digne héritier d’une comédie de Molière ou de Marivaux.

Le comique nait des situations et de la confrontation entre deux mondes très éloignés,  celui des aristocrates et celui de l’armée fournissant de nombreux prétextes à couleur locale, marches martiales, roulements de tambours et onomatopées (rataplans).

Les personnages ne s’expriment que selon leur rang et leur éducation d’où l’importance et la saveur des dialogues. Ainsi se télescopent Sulpice grognard grincheux, Marie un tantinet vulgaire et inapte à la vie civile, la Marquise coquette et égoïste, son valet fieffé poltron et Tonio paysan naïf, mais déterminé.

Le traitement vocal tourne autour de trois procédés d’expression : dialogues parlés, récitatifs très expressifs, jamais secco au contraire et le chant.

Les dialogues, creusés des effusions et des coups de théâtre mènent l’action.  Ils sont les signaux réalistes qui délimitent les lieux et les événements.

Ils ne se contentent pas de relier les airs. Ils racontent l’histoire et contiennent leur lot de comique.

La psalmodie accompagnée des récitatifs, véritable préparation sentimentale au chant peut s’élargir sensiblement.

Dialogues parlés et récitatifs séparent les couplets des airs : cavatine, ronde, romance. Donizetti y respecte en effet, la forme strophique en vigueur (alternance de couplets  et d’un refrain). La partition ne contient donc pas  d’airs musicalement « purs » et d’un seul tenant. .

Les airs suivent une règle unique : la musique ne doit jamais nuire à la compréhension du texte. La virtuosité ne doit pas déformer les mots. L’écriture musicale reste sobre et très syllabique. La virtuosité propre aux ornements (bribes de Bel Canto) se cantonne aux fin  des phrases.  Ces airs apportent la touche sentimentale et l’épaisseur émotionnelle nécessaires aux  personnages.

Donizetti ne cesse de jouer entre les effets de masse ( chœur des soldats,  ) les ensembles (duos, trios),  la mélodie légère et dépouillée des solistes.

Donizetti a opté pour un accompagnement musical léger et très soigné sans multiplication d’idées ou d’intentions. Et pourtant, l’orchestre très présent, travaillé avec des couleurs crues localise l’action (l’armée par exemple) ou accentue un sentiment, comme ce solo de cor anglais qui symbolise, seul, la nostalgie et la déploration de Marie.

Conformément à la tradition l’ouverture, véritable pot-pourri des principaux airs brosse le décor de l’acte 1 en accumulant les éléments descriptifs convenus, de la forêt et de la montagne (l’utilisation du cor par exemple).

En revanche, plus dépouillé et  plus lyrique le prélude à l’acte 2  introduit l’espace clos et raffiné du salon de la Marquise.

La musique n’utilise donc pas les changements de tempi pour signifier un changement d’état, mais un déploiement de mélodies et de matériaux différents. Donizetti  compense la perte de chant par une grande richesse de trilles et de trémolos symbolisent l’ironie ou la fébrilité. Ainsi avec une partition plus subtile qu’il n’y paraît la musique devient le commentaire redondant ou au contraire le démenti de l’action et de ce qui se dit.

La Fille du Régiment fait partie des sept opéra français composés par Donizetti, mais aucun ne révèle un caractère aussi nettement français  par son sujet et son traitement perçu comme spécifiquement français.

Le fait est que lors de sa reprise en 1848,  les critiques et le public se demandent, comment ont-ils pu négliger une telle œuvre, qui ne quitta plus la scène  En 1875 La Fille du Régiment comptait 600 représentations  et 1000 reprises avant 1914.



ENGLISH VERSION

La Fille du régiment

Opéra-comique

Gaetano Donizetti (1797-1848)


In the musical euphory of the Romantic century, emerges the opera-comique, a typically French genre with its criteria, rules and audience. Donizetti in Paris embraces its conventions, adapts and gets a real popular success with La Fille du Régiment and its « rataplans » in honor of France.  The very patriotic context of the 1840s is not enough to explain such a success.

Inextricable mixture of borrowings, traditions, survivals, but also of novelties, audacity and insolence, the libretto and score of La Fille du Régiment raise exciting questions. The answers emphasize  a  magnificent balance  between the  spoken and the sung, as well as a story that oscillates between realism and melodrama  and  highlights the exact  music role. The sentimental  misadventure of a pretty vivandiere help us to understand the talent of an Italian defector who thinks French.

Conquering Paris

In Paris, cultural capital of Europe, musical life has only two universes, that ignore each other: the domestic and closed one of the salons, and the public and noisy one of the lyrical scenes,  divided between  the Opera house, the Theatre des Italiens directed  by Rossini and the Opera-comique.

Donizetti, overwhelmed with orders and whose reputation is well established in Italy,  arrives  in 1835, resolute to establish himself in the French lyrical landscape. He is of course aiming for the Opera House,  perhaps to put a prestigious highlight in his career. But access to the « grande boutique “ is not easy because it is the Meyerbeer’s fiefdom, triumphing with Robert le Diable.

At the beginning of 1840 Donizetti turns to  Opera-comique,  waiting for the success of  La Favorite  given at the Opera House at the end of the same year.

After the revolution of 1830, first significant democratization of music, the Opera-comique  attracts  a bourgeois audience  very attached to a play format and music-dramatic structures. L’opera comique is both a place and a  genre giving a good answer  to the concern of not to slow down the action and not to interfere with understanding of the libretto. So, opera comique mixes airs for soloists, singing and  spoken dialogues for an audience hating not  to understand, because of too much music. This genre  has its patented librettists. Donizetti  chooses  Bayard and Saint Georges and  asked them,   construction, brevity,  passion,  vehemence and why not extreme feelings.

 

La Fille du régiment

Beginning this score Donizetti has  a few years of Parisian experience. He knows the French public and received valuable advice from Halevy and the singer Adolphe  Nourrit.

Therefore, he will  succeed in a work more French than any other French comic opera… to the point of caricature.

Alfred Bayard and Venoy de Saint Georges the « eternal father of the libretto » offer him a plot we can no longer in the air of time ,  on a subject up to date: the nation gives thanks to Napoleon.

Defeats  are forgotten in favor of unreal images,  maintained  either  by old grumpy or by anti-monarchists poets   and writers (including Victor Hugo). For them,  Napoleon incarnates the greatness of France in contrast to Louis Philippe, the king  disrespectfully called the « poire molle” (soft pear).

It is therefore not its libretto that could explain the mixed success of the work, the day of  its creation.

 

A love story

La Fille du régiment tells the not admitted love story, between  Mary, vivandiere  at the 21st regiment that occupies the Tyrol and Tonio  young peasant who will betray his country because he loves her. Everything finally gets better.

Act 1. In the Tyrolean mountains

The French soldiers,  brigands  whose don’t  respect anything, are terrorizing the population including the Marquise of Berkenfield who would like to escape. Tonio a young Tyrolean peasant who sees the army moving away, reassures her .

In the camp of the French soldiers,  Sulpice  old  grumpy  with big heart, rusty and vulgar (he swears a lot) raised Mary in the respect of the hierarchy and military rules, remaining   very fanciful. The documentary result of the librettists has yet to be demonstrated.

Mary, whose orphan past and attachment to this regiment are learned, admits that she has no other family. « Au bruit de la guerre. »

She tells Sulpice about  her encounter with Tonio who saved her life as she was about to fall into a precipice.

Tonio in search of Mary  ,  is threatened with death by the soldiers who eventually accept him, since he saved her life. Tonio  celebrates her new friends and Marie sings the  « Ronde du Régiment « . But the soldiers have to  leave  and  Tonio  must escape. Before leaving,  he gets from Mary the promise to marry him.

In conversation with Sulpice,  the  Marquise discovers that Mary is her niece. So she wants to get her out of  the 21st and to give her the education she deserves.

Mary wishes to  said goodbyes to  the regiment. Tonio  who has just enlisted at the 21st  gets  the consent of the whole regiment to marry Mary. He triumphs and proclaims his happiness « Ah! Mes amis…  ».   But lovers have to separate after heartbreaking farewells. Soldiers devot the Marquise to the Devil.

Act 2. At the Marquise’s.

Mary must marry the son of the Duchess of Crakentrop, so must prove her good education, taking music lessons  and singing  a  romance. But she is not a gifted or docile pupil .  The lesson  turns into a fiasco,  especially on account of Sulpice, who attends the scene, and does everything he can (with his « rataplans ») for the lesson goes badly. Mary must choose between material ease with a man she does not love or the love with Tonio. Ready to yield to the Marquise instances she hears suddenly the return of the 21st. His  « Salut à la France  » confirms the pleasure of the happy reunion.

To keep Mary, Tonio threatens to say what he knows about the Marquise. He  tries to make her  flex, without success . So, he reveals  that Mary is the daughter of the Marquise. Her father is the Captain Robert. The Marquise finally confessed. The wedding must happen, but looking the despair of the lovers, the Marquise gives in and Mary returns to the 21st, but with Tonio, this time.

A faithful French reflection

The comic, the vocal treatment and the orchestration testifies to the France’s place in Donizetti’s career.

The construction of the libretto particularly well conducted is blameless.

Meetings and improbable reunions,  unbelievable volte face of the Marquise, confession always incomplete and many twists, all the poncifs inherited from the comedy of Old Regime (especially  music lesson)  make this libretto the worthy heir of a comedy by Molière or  Marivaux.

The comic was born from  situations and confrontation between two very distant worlds,  that of the aristocracys and  that of the army. This one gives many  pretexts of local color,  martial marches, drum rolls  and onomatopoeias (rataplans).

The dramatis personae express themselves only  according to  their rank and their education, so hence the importance and flavor of the dialogues. Thus are telescoped the grumpy Sulpice, Mary a tad vulgar and unfit for civil life, the flirtatious and selfish Marquise, her valet a big coward and Tonio, a naïve peasant, but proud.

The vocal treatment revolve around three expression procedure: spoken dialogues,   very expressive recitatives,   never secco to the contrary  and  singing airs.

The spoken dialogues, reserved to effusions and  drama,  lead the action. They are  realistic  signs  that delimit places  and  events.

They don’t  just connect the airs. They tell the story and contain their share of comedy.

The psalmody accompanied  recitatives, are a true sentimental preparation for singing,  so they can be greatly expanded.

Spoken dialogues  and recitatives separate the couplets from the air:  cavatine,  ronde,  romance. Donizetti respects  the current strophic form (alternation of couplets and a chorus). The score therefore does  not contain musically « pure » airs in one piece.

The airs follow a single rule:  music should never interfere with the understanding of the text. Virtuosity must not distort words.  The musical writing remains  sober and very syllabic. The virtuosity of the ornaments (bel canto’s bribes)  is confined to the  end of sentences.  These airs  bring  the  sentimental touch and  emotional depth  needed to the characters.

Donizetti does not stop to play between  the mass effects  (soldier s’  chorus, )  the  ensembles  (duos, trios), the light and stripped-down melody of the soloists.

Donizetti opted for a light and very neat musical accompaniment  without  multiplying ideas or intentions. And yet, the very present orchestra, worked with raw colors locates the action (the army  for example)  or  accentuates a feeling,like this solo de “cor  anglais”  (french horn) that  symbolizes, alone, the Mary ‘s nostalgia and deplorability.

The overture, in keeping with tradition, is a real medley of the main melodies painting the decor of Act 1, accumulating the agreed descriptive elements, of the forest  and  of the mountain  (the use of the horn for example).

On the other hand, more stripped down and lyrical, the prelude to Act 2 introduces the enclosed and refined space of the Marquise’s living room.

The music therefore does not use the tempi changes to signify a change of state, but a  deployment of different melodies and material. Donizetti compensates the loss of singing by a great wealth of trills and tremolos which symbolize irony or feverishness. Thus,  with a score more subtle than it appears the music becomes the  commentary redondant  or on the contrary the denial of the action and what is said.

La Fille du régiment is one of seven French operas composed by Donizetti, but  none reveals such a distinctly  French character in its subject matter and its perceived treatment as specifically French.

The fact is, that when it  was revived in 1848, critics and the public ask, how could they ignore such a  work. A masterpiece which did not leave the stage.  In  1875  La Fille du régiment had  600  performances and 1000  times before 1914.

 

Musique sacrée à la cour de Saxe

ENGLISH VERSION

Musique sacrée à la cour de Saxe
Programme

Jan Disma Zelenka  –  Neuf répons pour le Vendredi Saint.
Jean Sebastien Bach – Messe brève en la majeur BWV 234


Dans les feux du baroque

Au cœur du XVIIIe siècle, une Allemagne de villes et de principautés éparpillées lutte pour son équilibre et son identité. La France, pays de la raison sert déjà de référence. En réalité baragouiner français et singer Versailles n’offre qu’un étroit pis aller. Cette Allemagne désarmée tourbillonne au seuil du Siècle des Lumières, entre mimétisme et revendication, raison et démesure, scepticisme et foi, libertinage et  dévotion. Dans ce foisonnement, Jean Sébastien Bach et Jan Dismas Zelenka participent chacun à leur manière, au combat pour la stabilité.

Bach signe le 5 mai 1723 un contrat avec le Conseil de la ville de Leipzig, bastion de la foi luthérienne et devient ainsi kantor de l’église Saint-Thomas et director musices de la cité. De son côté, Zelenka est nommé en 1729, Directeur de la musique religieuse d’un prince catholique, l’électeur de Saxe. Dès lors, sur la même toile de fond et malgré leur admiration réciproque, leurs routes musicales ne pourraient se croiser.

Les fastes du catholicisme

A Dresde, si ses sujets sont protestants, l’Electeur Auguste II le Fort est catholique converti. Sensible à l’art baroque, il transforme sa ville en une fastueuse résidence royale, baptisée « la Florence de l’Elbe ».

A son arrivée à Dresde en 1710, comme contrebassiste de la Chapelle, Jan Dimas Zelenka, échappe donc à la conquête générale de l’identité germanique et à l’emprise religieuse de Luther. Dresde est une ville d’art, un îlot italianisant dont on vante partout l’orchestre et la splendeur de son opéra

Si les premiers éclats de son nouveau discours religieux voisin de l’opéra lui appartiennent (dans ses messes notamment), Zelenka préfère renouer, pour ses Responsoria pro hebdomada sancta. Avec l’esprit tridentin et s’en remettre au stile antico de la polyphonie, emprunté à la Renaissance en général et à Palestrina en particulier.

Zelenka renonce donc à la musique décorative quand il compose ces Répons pour la semaine sainte de l’année 1723.

Responsoria pro Hebdomada Sancta

La liturgie du Triduum pascal (les jeudi, vendredi et samedi de la semaine sainte) se compose de trois offices nocturnes par jour. Chaque nocturne comporte trois lectures chantées suivies chacune d’un répons. Il existe donc, pour les trois jours, vingt sept répons répartis à raison de neuf par jour.

Traditionnellement un répons se découpe de la manière suivante : un corps de texte suivi d’un verset généralement à voix seule, suivi de la reprise ou « réclame » reprenant le corps du texte en son milieu.

Répons du vendredi saint

Leur texte en latin se rapporte à l’arrestation du Christ, à son supplice, à sa mort sur la croix et se termine par une déploration compatissante sur son abandon.

Premier nocturne : Omnes amici mei (tous mes amis) ; Velum templi scissum es (le voile du temple se déchira) ; Vinea mea alecta (ma vigne élue).

Deuxième nocturne : Tamquam ad latronem (comme pour un brigand); Tenabrae factae sunt  (les ténèbres se firent); Animam meam dilectam (mon âme bien-aimée, je l’ai livrée) ;

Troisième nocturne : Tradiderunt me (ils m’ont livré); Jesum tradidit impius (Jésus a été trahi par un impie) ; Caligaverunt oculi mei (mes yeux se sont voilés).

Profondément pieux, Zelenka s’attache au texte liturgique, avec la ferme intention d’asservir la musique aux mots. Se faisant, il s’inscrit dans l’univers polyphonique du motet, régi par les lois du contrepoint et où l’intelligence garde le contrôle de l’expression, aussi dramatique soit-elle.

Ainsi, le texte est découpé en séquences rendues sensibles par l’alternance de l’écriture en imitation et de l’écriture verticale mais aussi, pour chacune d’elles par un nouveau matériel mélodique. Suivant la tradition, Zelenka confie le corps du texte au chœur et réserve les versets aux solistes. Mais cela peut être l’inverse. D’essence plus ardente ces versets, de solistes abandonnent alors le syllabisme pour de plus amples et extatiques vocalises. Ces griseries étoffées de chromatisme, émaillent d’italianisme un discours qui laisse deviner par ailleurs ses sources grégoriennes.

Un accompagnement instrumental confié à l’orgue, doublé d’une basse d’archet (et éventuellement d’un théorbe) écrit « colla parte » double donc les voix et les suit note à note.

Les cibles de Luther

Partie à la reconquête de sa puissance économique, mais à grand renfort de préceptes moraux, Leipzig, place sa nostalgie d’unité sous l’autorité de l’église. A son arrivée, Bach s’engage donc dans tous les domaines de la musique excepté l’opéra. Il s’y engage en homme de foi et en souscrivant pleinement aux articles du dogme luthérien. Ce dernier modifie la nature de la messe catholique et universelle, qui ne s’ordonne plus autour du sacrifice eucharistique et peut ainsi revêtir une grande diversité de modalités d’organisation.

A Leipzig, elle mêlait motets, chorals, lectures et cantates aux prières de l’Ordinaire de la messe chantées par l’assemblée des fidèles : Kyrie, Gloria en latin (ou en allemand Allein Gott), Credo en Allemand, Wir glauben all an einen Gott, Sanctus.

Pour quel fêtes solennelles, Bach a eu l’occasion de composer des messes mêlant les voix et les instruments.

A Leipzig il élabore cinq cycles de Kirchenmusiken dont quatre missae (BWV 233 à 236) en langue latine. Luther en effet, très pragmatique estime qu’il est bon de chanter en latin « aux grandes fêtes ». A Leipzig ville universitaire la langue latine avait été conservée de toute façon aux offices. Il est probable que les quatre missae (constituées du Kyrie et du Gloria) aient été composée entre 1735 et 1744.

Missa en la majeur,  BWV 234.

Kyrie ; Gloria – Domine Deus – Qui tollis peccata mundi – Quoniam tu solus – Cum Sancto spiritu.

Ecrite pour la fête de Nöel, probablement en  1738 puis redonnée ensuite plusieurs fois, jusqu’en 1748, cette missa réutilise à l’exception du Kyrie, quelques fragments des cantates BWV 67, 79, 136 et 179 antérieures à sa composition. Mais devant l’ampleur de sa tâche, qui ne lui laisse aucun répit, Bach fut souvent contraint de trouver quelque solution pour gagner du temps.

L’effectif réunit trois solistes (soprano, alto, et basse), un chœur et un ensemble instrumental composé de deux flûtes, cordes et continuo (orgue et basse à cordes). La destination de cette œuvre explique certainement le choix des flûtes, instruments de la tendresse chez Bach.

Kyrie eleison. Voix et instruments se répondent interrompus par une ritournelle instrumentale  de style concertant. Au centre, (Christe Eleison) les voix entrent en imitation et défilent sur une pédale d’orgue très sombre. Le retour au Kyrie Eleison, est une fugue dialoguée entre vois et instruments.

Gloria. Courte louange collective fuguée interrompue par l’adagio de l’Et in terra pax accompagné à la flûte. Le retour de la fugue sur Laudamus te inaugure, l’enchaînement de trois parties (adoramuste, glorificamus te, gratias agimus tibi) utilisant alternativement le matériel thématique de la fugue ou de l’adagio.

Domine deus. Air de basse en trio, introduit par le violon dont la mélodie parcourue d’un intervalle de quinte descendante, sous tend le discours vocal, très sobre et méditatif.

Qui tollis peccata mundi. Air de soprano introduit par les flûtes et les cordes où la voix et les instruments disposent d’une totale indépendance mélodique.

Quoniam tu salus. Air d’alto sur un thème plus énergique.

Cum sanctus spiritu. L’introduction très lente, ne dure que trois mesures, suivies aussitôt par une fugue de style concertant dont l’écriture plus ornée, requiert le vocabulaire habituel de vocalises, trilles, etc.

L’Amen très solennel réunit toutes les voix.

Bach se pose une fois encore en grand architecte. Il est vrai qu’il juxtapose les épisodes, en scindant le Gloria en cinq séquences qu’il différencie en permanence. Dans un équilibre savamment dosé alternent mouvements rapides et lents. Se suivent chœurs polyphoniques fugués et arias de solistes de style concertant. Bach accroche spontanément à sa musique quelques symboles convenus du figuralisme baroque. Mais les procédés de construction priment au nom de la ligne thématique intouchable, même si broderies et vocalises distendent les mots.  Tout se passe comme si Bach avait voulu substituer au désordre engendré par le tiraillement des mots, l’ordre absolu de la symétrie. Le climat intime renforcé par le choix des tonalités, les louanges, tout respire la foi et la jubilation personnelle du luthérien devant la promesse de rédemption. La petite « sinfonia » d’ouverture et les ritournelles instrumentales placés entre les strophes des airs, spéculent sur le plaisir mais par les mots qui précèdent et par ceux qui suivent Bach les a intronisés au sein de la conscience. Ils ne peuvent rompre ni l’harmonie, ni l’équilibre de cette œuvre de paix.

Ainsi l’un, Bach en épousant son siècle comble ici les vides d’une religion sans images à l’aide de codes dont tout un peuple possède les clés. L’émotion conduit toujours au sens des mots.

L’autre, Zelenka arrive à respecter un message liturgique tout en plaçant la liturgie sous le fluide charnel de la musique. Et pourtant, n’ont-ils pas pris tous deux le parti de la piété et de l’équilibre ?



ENGLISH VERSION

Sacred music at the Saxony Court

Program :

Jan Disma Zelenka – 9 Responsoria pro Hebdomada Sancta

Johann Sebastian Bach –  Missa brevis in A major BWV 234


In the lights of baroque art

During the 18th century, a Germany of scattered cities and principalities struggles for its balance and identity. France, while being the country of reason, serves as a reference. But to talk broken French and to imitate Versailles are just only better than nothing.

Reality is, that this unarmed Germany swirls on the threshold of the Age of Enlightenment, between mimicry and demands, reason and excess, scepticism and faith, libertinism and devotion. In this proliferation, Jean Sébastien Bach and Jan Dismas Zelenka each participate in their own way, in the fight for stability. Bach signed a contract on May 5, 1723 with the City Council of Leipzig, a bastion of the Lutheran faith, and thus became Kantor of the Church of St. Thomas and director of the city’s music. For his part, Zelenka was appointed in 1729, Director of Religious Music for a Catholic prince, the Elector of Saxony. Therefore, against the same backdrop and despite their mutual admiration, their musical paths could not cross.

The splendours of Catholicism

In Dresden, his subjects are Protestants, but the Elector Augustus II the Strong is a Catholic convert., sensitive to baroque art. So, he transforms his city into a sumptuous royal residence, called « the Florence of the Elbe ».

When he arrives in Dresden in 1710, Jan Dimas Zelenka as Chapel bassist, therefore, escapes to the general conquest of Germanic identity and to the religious ascendancy of Luther. Dresden is a city of art, an Italian island. Its orchestra and the splendor of its opera are praised everywhere.

The first brightness of a new religious discourse related to opera belong to  Zelenka. (particularly in his masses). But for his Responsoria pro Hebdomada Sancta, he prefers to renew with the Tridentine spirit and to rely on the antico style of the polyphony, borrowed from the Renaissance, in general, and from Palestrina in particular. So, Zelenka gives up decorative music when he composes these Responses for the Holy Week, in 1723.

Responsoria pro Hebdomada Sancta

The liturgy of the Paschal Triduum (Thursday, Friday and Saturday of Holy Week) consists of three nocturnal services a day. Each nocturnal has three sung readings, each followed by a respons. So, there are, for the three days, twenty-seven responses distributed at the rate of nine a day. Traditionally, a response is divided as that: a text, followed by a verse generally in a single voice, then by the repetition or « réclame” which repeats only the half of the text.

Répons for the Holy Friday

Their Latin text relates the Christ’s arrest, his torture, his death on the cross and ends with a compassionate lamentation over his abandonment.

  • First nocturnal: Omnes amici mei (all my friends); Velum temple scissum es (the veil of the temple was torn); Vinea meaalecta (my chosen vine).
  • Second nocturnal: Tamquam ad latronem (as for a brigand); Tenabrae factae sunt (darkness fell); Animam meam dilectam (my beloved soul, I have delivered it);
  • Third nocturnal: Tradiderunt me (they delivered me); Jesum tradidit impius (Jesus was betrayed by an ungodly); Caligaverunt oculi mei (my eyes are cloudy).

Zelenka is very pious, so he accords a very big importance  to the liturgical text, with the real intention of subjugating music to words. By doing that, he fits in the polyphonic universe of the motet governed by the laws of counterpoint. In a motet, the intelligence retains control of the expression, as dramatic as it is.

Thus, the text is divided into sequences made sensitive by the alternation of imitation writing and vertical writing as well as by a new melodic material. According to tradition, Zelenka entrusts principal text to the choir and reserves the verses for the soloists. But he can do the opposite. These more ardent versets abandon the syllabism for fuller and ecstatic vocalizations. These chromatics heady pleasures punctuate of italianisma music which not hide its Gregorian sources. An instrumental accompaniment given to the organ, doubled by a bow bass (and possibly a theorbo) written « colla parte » therefore doubles the voices and follows them note by note.

Luther’s targets

Going to the reconquest of its economic power, but with great reinforcement of moral precepts, Leipzig, places its nostalgia for unity under the authority of the church. On arrival, Bach therefore became involved in all areas of music except opera. He engages as a man of faith and subscribing to all the articles of Lutheran dogma. This one changes the nature of the Catholic and universal Mass, which is not anymore organized around the Eucharistic sacrifice and can thus take on a great diversity.

In Leipzig, mass mixed motets, choral readings and cantatas with the prayers of the ordinary mass sung by the assembly of the faithful: Kyrie,Gloria in Latin (or in German Allein Gott), Credo in Latin (or in German, Wir glauben all an einen Gott), Sanctus.

Bach composedfor some solemn feats Masses mixing voices and instruments. In Leipzig he produced five cycles of Kirchenmusiken including four masses (BWV 233 to 236) in Latin. Luther, in fact, very pragmatic, believes that it is good to sing in Latin « at the feast days”. The university city, of Leipzig kept the Latin language in the offices anyway. Probably, the four masses (consisting of Kyrie and Gloria) were composed between 1735 and 1744.

Missa in A major, BWV 234.

Kyrie.
Gloria : Domine Deus – Qui tollis peccata mundi – Quoniam tu solus – Cum Sancto spiritu – Amen.

Written for Christmas celebrations, probably in 1738 and then performed several times, until 1748, this masse reuses, with the exception of Kyrie, some fragments of the cantatas BWV 67, 79, 136 and 179 prior to its composition. The magnitude of Bach’s work, which left him no respite, forced him to find some solution to save time.

The workforce brings together three soloists (soprano, viola, and bass), a choir and an instrumental ensemble of two flutes, strings and continuo (organ and bow bass). The destination of this work certainly explains the choice of flutes, instruments of tenderness in Bach’s mind.

Kyrie eleison. Voices and instruments respond to each other interrupted by an instrumental ritornello always in concertante style. Christe eleison. The voices enter in imitation style and defile over a very dark organ pedal. Kyrie eleison. Fugue where the voices dialogue with the instruments.

Gloria. Short fugue, a collective praise interrupted by the adagio of the Et in terra pax, accompanied on the flute. The return of the fugue to Laudamuste inaugurates the three parts sequence (adoramuste, glorificamuste, gratias agimustibi) alternately using the thematic material of the fugue or this of the adagio.

Domine deus. Trio bass aria, introduced by the violin whose melody traversed by an interval of descending fifth, underlies the vocal discourse, very sober and meditative.

Qui tollis peccata mundi. Soprano aria introduced by the flutes and strings where the voice and the instruments have total melodic independence.

Quoniam tu salus.Alto aria on a more energetic theme.

Cum sanctus spiritu.The very slow introduction, lasts only three bars.It is immediately followed by a concertante-style fugue. Its more ornate writing requires the usual vocabulary of vocalizations, trills, etc. The solemn and vertical Amen unites all voices.

Bach once again land him as a great architect. He juxtaposes the episodes, dividing the Gloria into five sequences that he constantly differentiates. In a erudite moderate balance, alternate rapid and slow movements, polyphonic choirs and concertante style arias for soloist. Spontaneously Bach attaches to his music some agreed symbols of baroque figuralism. But the construction procedure takes precedence on untouchable thematic line. The words adapt to the music, but sometime distended by vocalizations and embroidery. Bach  wanted to substitute for the disorder generated by mistreated words, the absolute order of symmetry and of a very strict curve. The intimate atmosphere reinforced by the choice of tones, the praises, everything breathes the faith and the personal jubilation of the Lutheran in front of the promise of redemption. The small opening « sinfonia » and the instrumental ritornellos placed between the stanzas of the arias, speculate on the pleasure. But by the words preceding and by those following Bach enthroned them into the bosom of consciousness. They cannot upset the harmony or the balance of this work of peace.

Thus one, Bach by marrying his century fills the gaps of a religion without images using  codes which a whole people have  the keys. The emotion always divulges the meaning of words.

The other, Zelenka, while placing the liturgy under the carnal fluid of music, whoever respects a liturgical message. And however, haven’t they both taken side with piety and balance?

 

CD Christmas Carols


Christmas Carols
Children’s choir and harp

Maîtrise des Bouches du Rhône
Samuel Coquard : direction
Elodie Adler : harpe


« A zene mindenkié » (La musique est à tout le monde)
Zoltán Kodály

En apparence cet enregistrement est une gageure. En effet, il relève le défi de réunir sur le même disque quatre compositeurs aussi différents que peuvent l’être, Benjamin Britten, dont le talent éclectique autant que brillant, a marqué toute la musique du XXe siècle anglais et Gustav Holst, compositeur prolifique et peu conventionnel dont le succès de The Planets a traversé la Manche, mais aussi éclipsé les autres créations. Y figure également le paradoxal John Rutter compositeur contemporain anglais, qui dit de lui qu’il n’est pas particulièrement  « religieux mais profondément spirituel » et reconnaissant par ailleurs, que la musique « légère et classique » américaine l’a influencé. On y trouve aussi Zoltán Kodály, qui sur les pas de Liszt changea le cour de la musique hongroise, en collectant, diffusant et intégrant dans ses propres compositions le meilleur de sa veine populaire.
Curieusement, ces quatre figures de l’art religieux au XXe siècle ont plus de points communs qu’il n’y paraît.
En premier lieu, ils partagent le même goût prononcé pour les voix de femmes, ou les voix d’enfants. Tous ont su tirer le meilleur parti de ces sonorités radieuses et pures, de ces timbres cristallins, de leur caractère éthéré er réussirent cependant à en faire un matériau fort et vibrant. Textes médiévaux, liturgie catholique ou encore légendes populaires, ont nourri leur inspiration musicale. Avec un talent égal, ils réussirent à concilier ces deux entités, ces deux réalités qui normalement se suffisent à elles mêmes: une source littéraire, une poésie et le son musical.

Le chant choral

Mais, au-delà des voix, le chœur occupe une place de choix dans leur vie, ainsi que dans leur production. C’est par le chant choral, qu’au Royal College Of Music, Gustav Holst, Benjamin Britten, ou John Rutter ont été formés. C’est sur lui que s’est fondé la carrière de Holst, dont on connaît les fonctions de directeur du Hammersmith Socialist Choir, dont il épousa d’ailleurs la jeune soprano, Isobel Harrison. C’est aux chœurs d’enfants que Britten a consacré les sommets de son œuvre (Missa Brevis, Ceremony of Carols, St Nicholas et l’émouvant War Requiem).
Zoltán Kodály apprit également la musique en chantant dans la maîtrise de la cathédrale de Nagyszombat (aujourd’hui Trnavan en Slovaquie). De plus, persuadé du bien fondé d’aborder la musique par ce biais, il inventa une méthode d’enseignement qui initie à la pratique, du chœur, dès le plus jeune âge. Il publia également la bible du chant pour chœurs d’enfants, les Bicinia Hungarica pages attractives et variées, de tradition hongroise. En ce sens, John Rutter est leur digne successeur, actuellement très connu en Angleterre et au Etats-Unis pour ses tournées et ses nombreux enregistrements, à la tête de son propre ensemble Cambridge Singers. Compositeur officiel de la Cour, il écrivit en 2011 l’hymne C’est le jour que le Seigneur a fait pour le mariage de William et Catherine Middleton. Il se situe donc dans la grande tradition chorale anglaise. Mais la Grande Bretagne, ne saurait se passer de chœurs et surtout de maîtrises : une tradition dont la suavité en réponse depuis toujours aux flonflons primesautiers des noceurs impénitents, lève le bouclier du sentiment religieux: le vrai refuge des valeurs fondamentales de l’Angleterre éternelle.

Le retour à Bach

En Allemagne, où l’illustration musicale de la liturgie repose sur les chœurs d’écoles, la vie musicale est restée longtemps aux mains des cantors.  Luther ne se méfiait pas de la musique, au contraire, il demanda que chacun la cultive comme œuvre de foi, car elle ouvre à la parole divine. Depuis longtemps grâce à lui, l’assemblée des fidèles chante, car la musique est chose d’ordre et de clarté. Le chœur rassemble, qu’il soit professionnel ou amateur, il symbolise le recueillement national. C’est dans cet esprit que Bach en fera l’élément obligé des ses cantates dont il confie les exécutions à ses élèves de la Thomasschule.
Bach a marqué le chant choral d’un sceau inimitable. C’est à cet aspect de sa musique taillée dans le granit, que s’attachent Holst, Britten, et même Kodály. Ils lui doivent les assises de leurs constructions réunissant deux formules qui se succèdent, se chevauchent ou se complètent : le contrepoint et l’harmonie. Autour de la figure emblématique de Bach se scelle donc, au début du XXe siècle un baroquisme paradoxalement d’avant-garde qui donne une incomparable maîtrise d’écriture à Holst, Britten er Kodály.
Ce retour à Bach, au lendemain du romantisme répond au besoin de l’Allemagne de sceller son sentiment national, alors qu’il s’accompagne en Angleterre de la redécouverte de ses trésors de l’époque élizabéthaine et du déchiffrage des secrets du talent de Purcell. Holst remonte alors The Fairy Queen au Morley College en 1911. Britten, dans son sillage met en musique la langue anglaise, avec la même fantaisie et le même humour.

La musique populaire

Ce début du XXe siècle est donc frappé du sceau d’une innovation qui plonge de solides racines dans le passé. Intervient alors une autre source de changement tout aussi féconde que le retour à Bach ou à Purcell : les emprunts non dissimulés à la musique populaire.
Cette reconnaissance de ses qualités nourrit d’espoir, entretient et conforte le sentiment nationaliste des pays qui entendent résister à l’escalade du fascisme dans les années 30. Ralph Vaughan-Williams a battu la campagne anglaise afin de recueillir des trésors de musique traditionnelle. Holst en tire profit, surtout dans sa musique symphonique (Somerset rhapsodie). Britten s’y réfère et arrange pour piano et voix des chants populaires anglais et français. Rutter également arrange des chants de noël anglais, de Cornouailles ou d’ Irlande et s’en inspire. Kodály, lui, note des centaines de mélodies paysannes hongroises et revivifie sa musique au contact de leurs composantes mélodiques er rythmiques. En fait, plongés dans le même cursus, tradition et  innovation, c’est du folklore de leur pays que tous reçoivent la bouffée de vent frais qui remplace par un langage modal, la classique tonalité, usée aux entournures.
A cette sensibilité quelque peu plébéienne, qui d’ailleurs n’est perceptible ici que dans la simplicité de l’expression et la fermeté des rythmes, la harpe apporte sa réponse aristocratique et divine. Instrument des rois, des dieux er des anges elle relie la terre et le ciel. Elle donne à cette musique religieuse ou d’inspiration supra humaine la dimension cosmique nécessaire.

Ceremony of Carols

Benjamin Britten compose cette œuvre (op. 28) en 1942, pendant son voyage de retour en Angleterre. Il rentre en effet des Etats-Unis, où il s’était réfugié à la mort de sa mère. Avec une expression juste et déconcertante de naturel, il met en musique neuf chants de noël sur des textes anonymes du XIVe siècle, ou bien, empruntés à des auteurs de la Renaissance anglaise : James, John et Robert Wedderburn pour Balulalow, Robert Southwell pour The little Babe et In freezîng winter night, ainsi que William Cornish pour Spring carol. Ces neufs chants sont encadrés par une antienne de procession chantée a cappella et en grégorien Hodie Christus natus est, extraite des Vêpres de la Nativité.
Elle apparaît donc en introduction et en conclusion. Les voix juvéniles possèdent la clarté et le dynamisme nécessaires pour clamer la joie de Noël, mais aussi la souplesse et la pureté requises pour se recueillir parfois, en des instants de beauté fragile. La harpe ne se limite pas à mettre en valeur les voix. C’est elle qui fige le paysage dans la ponctuation obstinée de ses accords givrés, frissonne de ses trilles et tremolos, glisse sur la glace. Autant d’éléments figuratifs qui relèvent pourtant de l’économie de moyens chère à Britten, mais contribuent efficacement au climat. D’aune part, dans un parti pris nettement modal, Britten réussit à donner à sa musique un traitement harmonique malgré tout classique er rassurant. Il sait comment plonger dans la modernité sans choquer. Ceremony of Carols, pastorale d’hiver, aussi intemporelle que mystique figure parmi les pages les plus attachantes de Britten.

Hymns for the Rig Veda

Elles appartiennent aux grandes œuvres vocales de Gustav Holst. Ce dernier, imperméable aux caprices de la mode, a toujours trouvé son inspiration selon son goût pour l’astrologie, l’ésotérisme et la philosophie hindoue. Pour pouvoir emprunter ses textes au Rig Veda (collection d’hymnes sacrés de l’Inde antique écrite en sanskrit), Holst apprit cette langue  de 1908 à 1912, il traduisit et mit en musique quatorze d’entre eux, répartis en quarre groupes, dont un (le troisième) pour voix de femmes et harpe ou piano.
Avec quelle dextérité, quelle science et quelle richesse d’inspiration il utilise sa palette de procédés ! Il joue essentiellement sur les contrastes. Ecriture polyphonique en valeurs longues contre syllabisme aux harmonies savoureuses et complexes ; psalmodie proche de celle des officiants brahmanes opposée au lyrisme de courbes plus généreuses ; changements de tempi permanent ; changement d’effectifs, avec une alternance de tutti et de chœur réduit ; changements brutaux de registres des voix ; ostinato de rythmes incantatoires ou dynamisme presque chorégraphique ; instabilité modale sur terrain orientaliste, avec d’inattendues modulations. La harpe prélude, relie, ponctue, ruisselle, meuble les points d’orgue, conclut… Bref, la personnalité étrange de Holst sait surprendre mais aussi envoûter.
Les mêmes qualités expressives se retrouvent dans Two Eastern Pictures : Même rigueur formelle, strophique à refrain dans Summer, par exemple, avec la même diversité dans le traitement des voix et de la harpe.
Holst compose toujours avec le même soin scrupuleux. Sa fille, Imogen disait de lui qu’il « s’accrochait à son austérité ». Ce manque de concessions a finit par l’éloigner de son public er a donner de lui l’image d’une personnalité étrange, complexe et froide. Ce grand solitaire, possédant l’art de décontenancer un public, par sa défiance du sentiment, pouvait se montrer dans la vie, on ne peut plus jovial et attentionné. Sa musique reflète les paradoxes de cet homme, à la fois rêveur et visionnaire. Il insuffle à ses œuvres vocales la poésie, la logique et la clarté qui annoncent les sonorités translucides de Britten et apportent le dépouillement nécessaire au renouveau musical anglais.

Wainamoinen makes music

Mais n’est-ce pas normal pour ce barde éternel à la voix magique? Dans la mythologie finnoise, à laquelle se réfère ici Zoltán Kodály, il charme toutes créatures, en jouant du kantele, cithare qu’il fabriqua lui-même, avec une mâchoire de brochet. Ici Kodály a emprunté quelques vers de l’épopée du Kalevala, dans une traduction hongroise de Béla Vikár. Puis il choisit deux mélodies populaires finnoises et écrit en 1944, cet hymne à la musique. Il le souhaite porteur d’un message d’espoir, alors qu’il vit caché, réfugié dans un couvent de religieuses à Budapest. La harpe soutien de ses fortes ponctuations obstinées ou de ses fluides arpèges deux motifs confiés aux voix où se mêlent les éléments chers à Kodály, dont les rythmes bien marqués de la danse populaire.

Quatre compositeurs que réunir l’amour du chant choral proposent donc avec pragmatisme mais non sans poésie, le bonheur de découvrir des textes originaux, de partager la joie et l’espoir de la période de Noël, le tout, sous le pouvoir qui nous est à la fois si familier et si énigmatique de la musique.

Catherine Michaud Pradeilles

CD Scarlatti / Sonates pour clavecin


Domenico Scarlatti
Sonates pour clavecin – vol. 1
Mario Raskin : clavecin


 

 

 

 

En janvier 1729, sur les rives de la Caya à la frontière des deux pays, Philippe V d’ Espagne et Jean V du Portugal marient leurs enfants, le futur roi, Ferdinand VI et l’ infante Maria Bárbara. Domenico Scarlatti, maître de chapelle de Jean V et maître de musique de la princesse assiste à la cérémonie et s’apprête à la suivre en Espagne.

Une princesse musicienne 

Maria Bárbara de Bragança aime sincèrement la musique et sa virtuosité au clavecin dépasse les limites de l’amateurisme de son époque. C’est une élève attentionnée qui, comme la reine qu’elle sera plus tard, sait se faire aimer par son tempérament et la grâce de son caractère. El le a beaucoup d’esprit et parle six langues. Elle a toujours suscité l’admiration et l’estime par son allure et sa courtoisie.
Domenico Scarlatti trouve en elle l’ instigatrice et l’inspiratrice des sonates qu’ il va écrire désormais uniquement pour elle. Les goûts et la culture musicale de l’ infante ont déjà beaucoup exigé de lui. En la suivant, Scarlatti s’apprête à poursuivre la construction d’un des plus beaux édifices du baroque espagnol. Les traits essentiels se cet art s’y retrouvent, en effet.
Il est possible que Scarlatti ait commencé à écrire ses toccatas et autres pièces très virtuoses pour la princesse Maria Bârbara dès son installation au Portugal en 1720. Cependant, il manque à leur contrepoint encore inerte et convenu l’expression personnelle qui fera le charme de ses sonates dont la série débute en 1738, avec les Essercizi per gravicembalo qu’ il publie lui-même en les dédiant à Jean V et dont il ne cache pas le but pédagogique. A chacune de ces pièces, précédée de la mention sonate il ajoute alors une indication de tempo (allegro, presto, moderato) et parfois une indication de style, tel le que fuga par exemple. Il semble que le terme sonate, s’ il désigne d’ores et déjà l’immuable forme choisie par Scarlatti ait gardé quelque attache avec le sens générique de sonare. Il y a chez Scarlatti une tel le volonté de faire sonner le clavecin, autrement et avec de tels effets ! Ensuite, comme pour imprimer un sceau supplémentaire à la pensée de son élève, il lui arrive d’ajouter fuga, pastorale, aria, minuet ou minuetto, gavotta, giga, cantabile ou encore capriccio. Au XVIIIe siècle, il est normal de s’aventurer dans le royaume de la danse imaginaire, tandis qu’un  » caprice  » est un mot d’ esprit. En employant ce terme, Scarlatti invite-t-il courtoisement la princesse à jouer avec un peu plus de badinerie que d’habitude ?

Une magnifique complicité

Dans l’intimité des leçons, loin des contraintes de la cour et de son protocole la complicité entre maître et élève peut se passer de laborieuses explications. Maria Bárbara trouve certainement avec beaucoup de spontanéité le caractère à donner à chacune des sonates. Rien n’est écrit de la main de Scarlatti qui laisserait entendre le contraire. Qu’a-t-elle apporté à cette œuvre qui échapperait à sa propre culture ibérique? Ne connaît-elle pas la tradition portugaise des modinhas, sorte de romances à la saveur discrète, mais tou jours teintée de nostalgie. En Espagne, ne danse-t-elle pas la seguidilla, le polo andalou ou encore le fandango très à la mode? Ne partage-t-elle pas avec son maître de musique sa passion pour la guitare? Cette relation rejoint l’art si mondain et si prisé alors de la conversation.
Mais entre eux, elle se passe de mots. Le contenu si original des 555 sonates vient donc de ce perpétuel échange entre Scarlatti et sa royale élève. Il est le ciment de leur entente, de leur estime, de leur dévouement réciproque, jusqu’à ce que la mort les sépare.

Une toute autre voie

Quelques années auparavant, Scarlatti avait quitté Rome où il écrivait pour le théâtre privé de la reine en exil, Maria Casimira, veuve du roi de Pologne, pour le Vatican qu’ il fournissait en musiques imposantes destinées à la chapelle Giulia, ainsi que pour l’ambassadeur du Portugal qui lui passait également commandes. Est-ce grâce à lui qu’il obtint ce poste à la cour de Lisbonne? La passion bizarre de Jean V pour les cérémonies d’église l’a-t-elle conduit à convoiter le compositeur du Vatican ?Toujours est-il que Scarlatti, arrivé à Lisbonne commence à affirmer son génie dans une toute autre voie.
Le roi lui offre un emploi enfin stable, sous un patronage sûr et les honneurs dus à son mérite, en admettant Scarlatti à l’ordre portugais de Santiago (en 1738).
Mais en suivant Maria Bárbara en Espagne, le compositeur trouve alors ses principales sources d’ inspiration.
Auprès d’elle Scarlatti rompt totalement avec son passé obscur de compositeur lyrique. Ses œuvres « de jeunesse » restent les Essercizi (1738) indices des brillantes sonates écrites avant 1750.
Elles annoncent la grande richesse poétique des suivantes (1752 -1 753) ainsi que les audaces des dernières sonates écrites de 1754 à sa mort. Scarlatti commence cet immense portique à plus de cinquante ans, et donnera l’essentiel de son génie à plus de 67 ans, réservant à son élève toujours autant de surprises et de plaisirs, même après plus de 400 sonates. Le musicologue américain Ralph Kirkpatrick, biographe de Scarlatti soutient que la vraie signification de ces sonates réside dans leur arrangement par paire. Ainsi, Scarlatti les aurait-il groupées selon une relation de complémentarité ou d’unité tonale (K. 460 K.461), également stylistique ou harmonique, mais aussi une volonté de contraste
(K.208, K.209).

Un immense portique

Les Essercizi, premières compositions audacieuses et abouties d’un homme de 53 ans, révèlent le vrai tempérament et les fondements du langage de Scarlatti. Chacun d’eux permet de résoudre un problème technique dont le fameux croisement des mains (K.25 K.2 7) mais la richesse de l’invention montre déjà en Scarlatti un professeur plus soucieux de style que de virtuosité. Rien n’y est ordinaire ou orthodoxe. Tout y est varié et si léger (K.1 K.9 K.14) !

La totalité des sonates qui suivra confirme les audaces d’un vocabulaire toujours plus étonnant et séduisant. Scarlatti rompt avec la tradition de l’écriture pour orgue, beaucoup trop compacte, en brisant les lignes du contrepoint. Dans sa manière unique d’effleurer les courbes mélodiques d’ornements, indissociables cependant de la texture musicale, il sacrifie à l’hédonisme ambiant au XVIIIe siècle, mais cherche également l’émotion. Tout mouvement conjoint finit par s’ouvrir et bondir en grands sauts. Les notes répétées peuvent se transformer en mélodie et la courbe mélodique se rétracter à son tour. Les dissonances se résolvent en consonances, lesquelles s’enrichissent d’altérations, de notes voisines, par des procédés inattendus. Le majeur devient mineur et inversement.
La rigidité de la forme binaire à reprises, à laquelle s’en tient Scarlatti disparaît sous une avalanche de surprises tant mélodiques que rythmiques des Essercizi à la dernière de ces sonates (K 1 à K 555),
Scarlatti en fera une forme ouverte essentiellement monothématique, la deuxième partie étant toujours une sorte d’extension inventive de la première.
Tout l’édifice tient comme une voûte romane, par les tensions et les conflits qui finissent par créer son équilibre et sa solidité.
Scarlatti y excelle dans l’art de séduire dans l’imaginaire et l’ indicible en ne cachant pas son goût des contrastes. Le mouvement, intrinsèque aux rythmes chorégraphiques ou insufflé au discours musical,
les ornements, la virtuosité, tout procède d’une prodigalité cherchant néanmoins à émouvoir par de subtiles sensations propres à désespérer une âme commune.

(à suivre…CD2)

Catherine Michaud-Pradeilles

Vivaldi – Haendel


ENGLISH VERSION

Programme

Antonio Vivaldi (1678 – 1741)
Nisi dominus RV 608
Motet d’après le psaume 127 « Si le Seigneur ne construit la maison »

Georg Friedrich Haendel (1685 – 1759)
Silete venti HWV 242
Motet latin


Vivaldi, Haendel… L’un, profondément italien, est chevillé à sa ville, la Venise du XVIIIe s., celle de Goldoni appréciée pour ses maisons de jeux et ses théâtres, mais où l’art de bien chanter est descendu dans la rue. L’autre, le saxon, le germanique qui ne fait jamais de concession, mais partit pour l’Angleterre, y devint célèbre et le plus international des musiciens de sa génération.
Pourtant rien ne les oppose, car tous deux, en hommes de théâtre, ont su parfaitement comment conquérir un public, avec brio, sans frontière sensible entre les styles religieux et profanes.

Le Nisi Dominus de Vivaldi possède de nombreux atouts, son contenu poétique en particulier qui lui dicte d’une part le découpage de cette œuvre en six versets auxquels s’ajoute une doxologie tripartite (Gloria Patri, Sicut era in principio et l’Amen final) et d’autre part, une musique pour laquelle il choisit toujours le précédé qui lui donne le plus de force expressive. Un mot peut soudain la lancer dans quelque irrésistible vertige musical, aux sonorités insolites. L’accompagnement instrumental si systématique qu’il peut aller jusqu’à l’ostinato (verset IV cum dederit) contraste avec la ligne très libre et très fluide de la voix. Partout voix et cordes se répondent ou cheminent ensemble, dans le plus pur style concertant. Toute la force de séduction de ce psaume repose sur l’art des contrastes, l’alternance des rythmes lents et rapides, les changements brutaux d’atmosphère.

Haendel quant à lui manifeste dans Silete venti ce goût de la phrase pleine qui emporte chanteur et auditeurs dans la même respiration. Ce talent il le doit aux italiens. Ce motet d’origine inconnue a peut-être été écrit en 1707, lors du séjour qu’il fit entre Venise et Rome. Mais sa sinfonia d’ouverture, débute comme un opéra baroque français en mouvement lent de rythme pointé, suivi d’un pittoresque tourbillon des vents auquel la voix met brutalement fin (Silete taisez-vous). Récits et airs de style concertant alternent ensuite. Haendel sort ici du chemin de la piété luthérienne qu’il dépasse dans un dialogue direct avec le Christ (suave Cher Jesus) puis dans la contemplation et la joie. Sensualité empruntée à l’opéra et triomphalisme, l’éloignent encore du milieu ecclésiastique. Puis, conformément à une tradition qui remonte au chant grégorien l’Alleluia final se perd dans de vastes vocalises jubilatoires.



ENGLISH VERSION

Program

Antonio Vivaldi (1678 – 1741)
Nisi dominus RV 608
Motet from Psalm 127 « Unless the Lord builds the house »

Georg Friedrich Handel (1685 – 1759)
Silete venti HWV 242
Latin motet


Vivaldi, Handel… The one, deeply Italian, is rooted in his city, the Venice of the 18th century, that of Goldoni appreciated for its gaming houses and its theaters, and where the art of singing has taken to the street. The other, the Saxon, the Germanic never made any concessions, and left for England, became famous there and the most international musician of his generation. However, nothing opposes them, because both, talented for the theater, knew perfectly how to conquer an audience, brilliantly, without any sensitive border between religious and secular styles. Vivaldi’s Nisi Dominus has many advantages.   Its poetic content dictates to the composer,  first its division into six verses to which is added a tripartite doxology (Gloria Patri, Sicut era in principio and the Amen final ) and secondly, for his music a choice of many procedure which give her the most expressive force. A word can suddenly launch her into some irresistible musical  dizziness, with unusual sounds. The instrumental accompaniment so systematic that it can goes as far as ostinato (verse IV cum dederit) contrasts with the very free and very fluid line of the voice. Everywhere voices and strings respond to each other or walk together, in the purest concertante style. All the seductive force of this psalm comes from the art of contrasts, the alternation of slow and fast rhythms, brutal changes of atmosphere.

Handel, for his part, manifests in Silete Venti this taste for the full sentence which carries singer and listeners in the same breath. He owes this talent to the Italians. This unknown origin motet may have been written in 1707, during Handel is moving between Venice and Rome. But its overture sinfonia begins as French Baroque opera with a slow and sharp rhythm, followed by a picturesque whirlwind of wind instruments abruptly  interrupted by the voice (Silete !  – shut up). Then alternate recitative and  concertante style arias. Handel here goes out of the path of Lutheran piety.  He is beyond it,  in a direct dialogue with Christ ( Dear Jesus) then in contemplation and joy. Sensuality borrowed from opera some triumphalism again  distance him from the ecclesiastical circle. Then, in accordance with a tradition which dates back to Gregorian chant, the final Alleluia ends in a vast jubilant vocalizations.

Récital de clavecin

ENGLISH VERSION


Récital de clavecin
Soliste : Mario Raskin

Petits textes pour le programme

Le clavecin des Lumières

La dernière école de clavecin, reste fidèle au style français de François Couperin mêlant à un style pimpant, à la rayonnante ornementation et au libre badinage quelques coquetteries italiennes, tirées de mélodies souples et sensuelles. Elle aussi  peint, dessine des portraits,  narre des événements, s’inspire de la nature et hante les jardins de Le Nôtre. Toujours à mi-chemin entre rêve et réalité, Jacques Duphly et Pancrace Royer observent les autres, tandis que Domenico Scarlatti suggère son pays d’adoption, mieux que ne le ferait un espagnol et que le Padre Soler sur ses traces réinvente un folklore proprement ibérique.

C’est assis devant leur clavier plus en symphonistes, qu’en témoins discrets, qu’ils livrent leurs ultimes pages. Malgré les somptueux accents, qui les parcourent, les sentiments pré romantiques qui soulèvent l’Europe, obligent le clavecin à livrer un combat perdu d’avance avec le pianoforte. L’instrument des princes est amené à disparaître, non sans avoir brillé de ses derniers feux.

Les Lumières s’éteignent définitivement à la Révolution, mais justement, Duphly ne meurt-il pas oublié de tous, le matin du 15 juillet 1789 ?


Jacques Duphly (1715 – 1789)

On le disait toujours « vêtu de satin noir et de velours cramoisi ». Elégant, mystérieux, célèbre, il est le maître de clavecin que toute la haute société  parisienne s’arrache, jusqu’à la publication de son dernier Livre de  Pièces de clavecin en 1768.

Premier Livre de Pièces pour le Clavecin (1744)

  • Allemande en do m
  • La Boucon (Courante)
  • Deux rondeaux

Troisième Livre de Pièces  pour le Clavecin (1756)

  • La Forqueray
  • Médée

 Pancrace Royer (1705 – 1755)

« Voyez un peu quel vertigo [colère soudaine] lui prend » écrit  Molière dans 
Monsieur de Pourceaugnac. Quand il se consacre au clavecin, le sens dramatique ne manque pas à cet homme de théâtre, très en vue, occupant à Paris et à la Cour de nombreux postes officiels.

  • L’incertaine
  • L’aimable
  • Le vertigo

Domenico Scarlatti (1685 – 1757)

Napolitain de naissance, espagnol de cœur et d’esprit, il lègue à son unique élève, la reine d’Espagne, un des sommets de la musique de clavecin du XVIIIe  siècle,  ses 555 Essercizi et Sonates aux savoureuses couleurs locales et criblés d’emprunts à la guitare.

  • Sonate K.211 (andantino)
  • Sonate K.460 (allegro)
  • Sonate K 234 (andante)
  • Sonate K.551 (allegro)

Padre Antonio Soler (1729 – 1783)

Ce moine hiéronymite, organiste du monastère de l’Escorial, prit Scarlatti pour modèle afin d’enseigner le clavecin au fils de Charles III,  l’Infant Gabriel. Pour lui il écrivit 150 Sonates, véritable concentré de virtuosité et de citations locales.

  • Sonate R.45 en sol M
  • Sonate R.49 en m
  • Sonate R.84 en M
  • Sonate R.90 en fa dièse M


ENGLISH VERSION

Harpsichord recital by Mario Raskin

The Harpsichord at the age of the Enlightenment

The last harpsichord school remains faithful to the French style of François Couperin, mixing a dapper style, to the radiant ornamentation, and  free banter, again some Italian coquetries, drawn from supple and sensual melodies. She also paints, draws portraits, narrates events, inspired by nature and haunting the gardens of Le Nôtre. Always halfway between dream and reality, Jacques Duphly and Pancrace Royer observe the others, while Domenico Scarlatti suggests his adopted country, better than a Spaniard would and while Padre Soler following in his footsteps reinvents a truly Iberian folklore.

It is, seated in front of their keyboard more as symphonists, than discreet witnesses, that they deliver their final pages. Despite the sumptuous accents that run through them, the pre-romantic feelings that rouse in Europe, oblige the harpsichord to engage in a losing battle with the pianoforte. The instrument of the princes is going to disappear, not without having shone with its last lights.

The Enlightenment was definitively extinguished during the Revolution, but did not Duphly die, forgotten by all, on the morning of July 15, 1789?

Jacques Duphly (1715 – 1789)

He was always « dressed in black satin and crimson velvet. » Elegant, mysterious, famous, he was the harpsichord master that all Parisian high society had won over, until the publication of his last Livre de Pièces de Clavecin in 1768.

Premier livre de Pièces pour le Clavecin  (1744)

  • Allemande in do m
  • La Boucon (Current)
  • Two rondeaux

Troisième livre de Pièces pour le Clavein  (1756)

  • La Forqueray
  • Medée

Pancrace Royer (1705-1755)

“Voyez un peu quel vertigo ( sudden anger) le prend » writes Molière in Monsieur de Pourceaugnac. When he devotes himself to the harpsichord, this man  talented with theatre  however keeps his real dramatic sense. He was very famous, occupying many official positions in Paris and at the Court.

  • L’incertaine
  • L’aimable
  • Vertigo

Domenico Scarlatti (1685 – 1757)

Neapolitan by birth, Spanish in heart and mind, he gave to his only pupil, the Queen of Spain, the best of harpsichord music of the 18th century. His 555 Essercizi and Sonates with tasty local colors and  many loans to the guitar.

  • Sonata K. 211 (andantino)
  • Sonata K. 460 (allegro)
  • Sonata K 234 (andante)
  • Sonata K. 551 (allegro)

Padre Antonio Soler (1729 – 1783)

This hieronymite monk, organist of the Escorial monastery, took Scarlatti as a model to teach the harpsichord to Charles III’s son, the Infant Gabriel. For him he wrote 150 Sonatas, a true concentrate of virtuosity and local quotations.

  • Sonata R.45 in G
  • Sonata R.49 in D m
  • Sonata R.84 in D
  • Sonata R.90 in F sharp

Calder et la musique

(CD Centre Georges Pompidou)

L’art des sons

En 1913 sur fond de scandale provoqué par Schoenberg et Stravinsky, les bruiteurs italiens, en un manifeste libertaire rompent le « cercle restreint des sons purs » amenant Satie à introduire plus tard, dynamo, machine à écrire et sirènes dans Parade Ainsi tombent les frontières, car pour leurs héritiers la négation de la tonalité et la condamnation de l’orchestre traditionnel se transforme, après guerre et pour un demi-siècle, en une démarche carrément subversive. Dirigée vers l’utopie d’une musique sans mélodie, au-delà de l’harmonie et de la couleur instrumentale, elle introduit bruits et sonorités insolites, en nourrissant le désir de ne plus se vouer à l’écriture mais au son lui-même. Ainsi, en s’appuyant sur les conquêtes de la physique et les théories mathématiques devient-il matériau, à stocker, à distordre, à transformer, à étirer, à filtrer et à doter d’une quatrième dimension, la spatialité. De ce contact direct naissent grâce aux sortilèges de la machine, assistante ou sujet, des œuvres qui dans la société fatiguée de l’après guerre invitent à l’évasion ou au désir. C’est une musique nouvelle à percevoir, hors de toute culture, pour susciter le rêve et non le mettre en œuvre. Elle est d’inspiration généreuse, parfois exubérante et témoigne d’une aventure de l’art, joyeuse et poétique. Le bruit, indicatif du monde épouse le dynamisme naturel des sons musicaux tout en empruntant à la danse les rythmes essentiels de la vie. Les convictions d’E. Varèse sont convaincantes, l’humour et le goût de l’indétermination de J. Cage contagieux, le langage inventif de Pierre Henry engageant.  En ce temps là, le concert se préparait comme une cérémonie symbolique, où la raison n’avait pas sa place.