CD Christmas Carols


Christmas Carols
Children’s choir and harp

Maîtrise des Bouches du Rhône
Samuel Coquard : direction
Elodie Adler : harpe


« A zene mindenkié » (La musique est à tout le monde)
Zoltán Kodály

En apparence cet enregistrement est une gageure. En effet, il relève le défi de réunir sur le même disque quatre compositeurs aussi différents que peuvent l’être, Benjamin Britten, dont le talent éclectique autant que brillant, a marqué toute la musique du XXe siècle anglais et Gustav Holst, compositeur prolifique et peu conventionnel dont le succès de The Planets a traversé la Manche, mais aussi éclipsé les autres créations. Y figure également le paradoxal John Rutter compositeur contemporain anglais, qui dit de lui qu’il n’est pas particulièrement  « religieux mais profondément spirituel » et reconnaissant par ailleurs, que la musique « légère et classique » américaine l’a influencé. On y trouve aussi Zoltán Kodály, qui sur les pas de Liszt changea le cour de la musique hongroise, en collectant, diffusant et intégrant dans ses propres compositions le meilleur de sa veine populaire.
Curieusement, ces quatre figures de l’art religieux au XXe siècle ont plus de points communs qu’il n’y paraît.
En premier lieu, ils partagent le même goût prononcé pour les voix de femmes, ou les voix d’enfants. Tous ont su tirer le meilleur parti de ces sonorités radieuses et pures, de ces timbres cristallins, de leur caractère éthéré er réussirent cependant à en faire un matériau fort et vibrant. Textes médiévaux, liturgie catholique ou encore légendes populaires, ont nourri leur inspiration musicale. Avec un talent égal, ils réussirent à concilier ces deux entités, ces deux réalités qui normalement se suffisent à elles mêmes: une source littéraire, une poésie et le son musical.

Le chant choral

Mais, au-delà des voix, le chœur occupe une place de choix dans leur vie, ainsi que dans leur production. C’est par le chant choral, qu’au Royal College Of Music, Gustav Holst, Benjamin Britten, ou John Rutter ont été formés. C’est sur lui que s’est fondé la carrière de Holst, dont on connaît les fonctions de directeur du Hammersmith Socialist Choir, dont il épousa d’ailleurs la jeune soprano, Isobel Harrison. C’est aux chœurs d’enfants que Britten a consacré les sommets de son œuvre (Missa Brevis, Ceremony of Carols, St Nicholas et l’émouvant War Requiem).
Zoltán Kodály apprit également la musique en chantant dans la maîtrise de la cathédrale de Nagyszombat (aujourd’hui Trnavan en Slovaquie). De plus, persuadé du bien fondé d’aborder la musique par ce biais, il inventa une méthode d’enseignement qui initie à la pratique, du chœur, dès le plus jeune âge. Il publia également la bible du chant pour chœurs d’enfants, les Bicinia Hungarica pages attractives et variées, de tradition hongroise. En ce sens, John Rutter est leur digne successeur, actuellement très connu en Angleterre et au Etats-Unis pour ses tournées et ses nombreux enregistrements, à la tête de son propre ensemble Cambridge Singers. Compositeur officiel de la Cour, il écrivit en 2011 l’hymne C’est le jour que le Seigneur a fait pour le mariage de William et Catherine Middleton. Il se situe donc dans la grande tradition chorale anglaise. Mais la Grande Bretagne, ne saurait se passer de chœurs et surtout de maîtrises : une tradition dont la suavité en réponse depuis toujours aux flonflons primesautiers des noceurs impénitents, lève le bouclier du sentiment religieux: le vrai refuge des valeurs fondamentales de l’Angleterre éternelle.

Le retour à Bach

En Allemagne, où l’illustration musicale de la liturgie repose sur les chœurs d’écoles, la vie musicale est restée longtemps aux mains des cantors.  Luther ne se méfiait pas de la musique, au contraire, il demanda que chacun la cultive comme œuvre de foi, car elle ouvre à la parole divine. Depuis longtemps grâce à lui, l’assemblée des fidèles chante, car la musique est chose d’ordre et de clarté. Le chœur rassemble, qu’il soit professionnel ou amateur, il symbolise le recueillement national. C’est dans cet esprit que Bach en fera l’élément obligé des ses cantates dont il confie les exécutions à ses élèves de la Thomasschule.
Bach a marqué le chant choral d’un sceau inimitable. C’est à cet aspect de sa musique taillée dans le granit, que s’attachent Holst, Britten, et même Kodály. Ils lui doivent les assises de leurs constructions réunissant deux formules qui se succèdent, se chevauchent ou se complètent : le contrepoint et l’harmonie. Autour de la figure emblématique de Bach se scelle donc, au début du XXe siècle un baroquisme paradoxalement d’avant-garde qui donne une incomparable maîtrise d’écriture à Holst, Britten er Kodály.
Ce retour à Bach, au lendemain du romantisme répond au besoin de l’Allemagne de sceller son sentiment national, alors qu’il s’accompagne en Angleterre de la redécouverte de ses trésors de l’époque élizabéthaine et du déchiffrage des secrets du talent de Purcell. Holst remonte alors The Fairy Queen au Morley College en 1911. Britten, dans son sillage met en musique la langue anglaise, avec la même fantaisie et le même humour.

La musique populaire

Ce début du XXe siècle est donc frappé du sceau d’une innovation qui plonge de solides racines dans le passé. Intervient alors une autre source de changement tout aussi féconde que le retour à Bach ou à Purcell : les emprunts non dissimulés à la musique populaire.
Cette reconnaissance de ses qualités nourrit d’espoir, entretient et conforte le sentiment nationaliste des pays qui entendent résister à l’escalade du fascisme dans les années 30. Ralph Vaughan-Williams a battu la campagne anglaise afin de recueillir des trésors de musique traditionnelle. Holst en tire profit, surtout dans sa musique symphonique (Somerset rhapsodie). Britten s’y réfère et arrange pour piano et voix des chants populaires anglais et français. Rutter également arrange des chants de noël anglais, de Cornouailles ou d’ Irlande et s’en inspire. Kodály, lui, note des centaines de mélodies paysannes hongroises et revivifie sa musique au contact de leurs composantes mélodiques er rythmiques. En fait, plongés dans le même cursus, tradition et  innovation, c’est du folklore de leur pays que tous reçoivent la bouffée de vent frais qui remplace par un langage modal, la classique tonalité, usée aux entournures.
A cette sensibilité quelque peu plébéienne, qui d’ailleurs n’est perceptible ici que dans la simplicité de l’expression et la fermeté des rythmes, la harpe apporte sa réponse aristocratique et divine. Instrument des rois, des dieux er des anges elle relie la terre et le ciel. Elle donne à cette musique religieuse ou d’inspiration supra humaine la dimension cosmique nécessaire.

Ceremony of Carols

Benjamin Britten compose cette œuvre (op. 28) en 1942, pendant son voyage de retour en Angleterre. Il rentre en effet des Etats-Unis, où il s’était réfugié à la mort de sa mère. Avec une expression juste et déconcertante de naturel, il met en musique neuf chants de noël sur des textes anonymes du XIVe siècle, ou bien, empruntés à des auteurs de la Renaissance anglaise : James, John et Robert Wedderburn pour Balulalow, Robert Southwell pour The little Babe et In freezîng winter night, ainsi que William Cornish pour Spring carol. Ces neufs chants sont encadrés par une antienne de procession chantée a cappella et en grégorien Hodie Christus natus est, extraite des Vêpres de la Nativité.
Elle apparaît donc en introduction et en conclusion. Les voix juvéniles possèdent la clarté et le dynamisme nécessaires pour clamer la joie de Noël, mais aussi la souplesse et la pureté requises pour se recueillir parfois, en des instants de beauté fragile. La harpe ne se limite pas à mettre en valeur les voix. C’est elle qui fige le paysage dans la ponctuation obstinée de ses accords givrés, frissonne de ses trilles et tremolos, glisse sur la glace. Autant d’éléments figuratifs qui relèvent pourtant de l’économie de moyens chère à Britten, mais contribuent efficacement au climat. D’aune part, dans un parti pris nettement modal, Britten réussit à donner à sa musique un traitement harmonique malgré tout classique er rassurant. Il sait comment plonger dans la modernité sans choquer. Ceremony of Carols, pastorale d’hiver, aussi intemporelle que mystique figure parmi les pages les plus attachantes de Britten.

Hymns for the Rig Veda

Elles appartiennent aux grandes œuvres vocales de Gustav Holst. Ce dernier, imperméable aux caprices de la mode, a toujours trouvé son inspiration selon son goût pour l’astrologie, l’ésotérisme et la philosophie hindoue. Pour pouvoir emprunter ses textes au Rig Veda (collection d’hymnes sacrés de l’Inde antique écrite en sanskrit), Holst apprit cette langue  de 1908 à 1912, il traduisit et mit en musique quatorze d’entre eux, répartis en quarre groupes, dont un (le troisième) pour voix de femmes et harpe ou piano.
Avec quelle dextérité, quelle science et quelle richesse d’inspiration il utilise sa palette de procédés ! Il joue essentiellement sur les contrastes. Ecriture polyphonique en valeurs longues contre syllabisme aux harmonies savoureuses et complexes ; psalmodie proche de celle des officiants brahmanes opposée au lyrisme de courbes plus généreuses ; changements de tempi permanent ; changement d’effectifs, avec une alternance de tutti et de chœur réduit ; changements brutaux de registres des voix ; ostinato de rythmes incantatoires ou dynamisme presque chorégraphique ; instabilité modale sur terrain orientaliste, avec d’inattendues modulations. La harpe prélude, relie, ponctue, ruisselle, meuble les points d’orgue, conclut… Bref, la personnalité étrange de Holst sait surprendre mais aussi envoûter.
Les mêmes qualités expressives se retrouvent dans Two Eastern Pictures : Même rigueur formelle, strophique à refrain dans Summer, par exemple, avec la même diversité dans le traitement des voix et de la harpe.
Holst compose toujours avec le même soin scrupuleux. Sa fille, Imogen disait de lui qu’il « s’accrochait à son austérité ». Ce manque de concessions a finit par l’éloigner de son public er a donner de lui l’image d’une personnalité étrange, complexe et froide. Ce grand solitaire, possédant l’art de décontenancer un public, par sa défiance du sentiment, pouvait se montrer dans la vie, on ne peut plus jovial et attentionné. Sa musique reflète les paradoxes de cet homme, à la fois rêveur et visionnaire. Il insuffle à ses œuvres vocales la poésie, la logique et la clarté qui annoncent les sonorités translucides de Britten et apportent le dépouillement nécessaire au renouveau musical anglais.

Wainamoinen makes music

Mais n’est-ce pas normal pour ce barde éternel à la voix magique? Dans la mythologie finnoise, à laquelle se réfère ici Zoltán Kodály, il charme toutes créatures, en jouant du kantele, cithare qu’il fabriqua lui-même, avec une mâchoire de brochet. Ici Kodály a emprunté quelques vers de l’épopée du Kalevala, dans une traduction hongroise de Béla Vikár. Puis il choisit deux mélodies populaires finnoises et écrit en 1944, cet hymne à la musique. Il le souhaite porteur d’un message d’espoir, alors qu’il vit caché, réfugié dans un couvent de religieuses à Budapest. La harpe soutien de ses fortes ponctuations obstinées ou de ses fluides arpèges deux motifs confiés aux voix où se mêlent les éléments chers à Kodály, dont les rythmes bien marqués de la danse populaire.

Quatre compositeurs que réunir l’amour du chant choral proposent donc avec pragmatisme mais non sans poésie, le bonheur de découvrir des textes originaux, de partager la joie et l’espoir de la période de Noël, le tout, sous le pouvoir qui nous est à la fois si familier et si énigmatique de la musique.

Catherine Michaud Pradeilles

CD Scarlatti / Sonates pour clavecin


Domenico Scarlatti
Sonates pour clavecin – vol. 1
Mario Raskin : clavecin


 

 

 

 

En janvier 1729, sur les rives de la Caya à la frontière des deux pays, Philippe V d’ Espagne et Jean V du Portugal marient leurs enfants, le futur roi, Ferdinand VI et l’ infante Maria Bárbara. Domenico Scarlatti, maître de chapelle de Jean V et maître de musique de la princesse assiste à la cérémonie et s’apprête à la suivre en Espagne.

Une princesse musicienne 

Maria Bárbara de Bragança aime sincèrement la musique et sa virtuosité au clavecin dépasse les limites de l’amateurisme de son époque. C’est une élève attentionnée qui, comme la reine qu’elle sera plus tard, sait se faire aimer par son tempérament et la grâce de son caractère. El le a beaucoup d’esprit et parle six langues. Elle a toujours suscité l’admiration et l’estime par son allure et sa courtoisie.
Domenico Scarlatti trouve en elle l’ instigatrice et l’inspiratrice des sonates qu’ il va écrire désormais uniquement pour elle. Les goûts et la culture musicale de l’ infante ont déjà beaucoup exigé de lui. En la suivant, Scarlatti s’apprête à poursuivre la construction d’un des plus beaux édifices du baroque espagnol. Les traits essentiels se cet art s’y retrouvent, en effet.
Il est possible que Scarlatti ait commencé à écrire ses toccatas et autres pièces très virtuoses pour la princesse Maria Bârbara dès son installation au Portugal en 1720. Cependant, il manque à leur contrepoint encore inerte et convenu l’expression personnelle qui fera le charme de ses sonates dont la série débute en 1738, avec les Essercizi per gravicembalo qu’ il publie lui-même en les dédiant à Jean V et dont il ne cache pas le but pédagogique. A chacune de ces pièces, précédée de la mention sonate il ajoute alors une indication de tempo (allegro, presto, moderato) et parfois une indication de style, tel le que fuga par exemple. Il semble que le terme sonate, s’ il désigne d’ores et déjà l’immuable forme choisie par Scarlatti ait gardé quelque attache avec le sens générique de sonare. Il y a chez Scarlatti une tel le volonté de faire sonner le clavecin, autrement et avec de tels effets ! Ensuite, comme pour imprimer un sceau supplémentaire à la pensée de son élève, il lui arrive d’ajouter fuga, pastorale, aria, minuet ou minuetto, gavotta, giga, cantabile ou encore capriccio. Au XVIIIe siècle, il est normal de s’aventurer dans le royaume de la danse imaginaire, tandis qu’un  » caprice  » est un mot d’ esprit. En employant ce terme, Scarlatti invite-t-il courtoisement la princesse à jouer avec un peu plus de badinerie que d’habitude ?

Une magnifique complicité

Dans l’intimité des leçons, loin des contraintes de la cour et de son protocole la complicité entre maître et élève peut se passer de laborieuses explications. Maria Bárbara trouve certainement avec beaucoup de spontanéité le caractère à donner à chacune des sonates. Rien n’est écrit de la main de Scarlatti qui laisserait entendre le contraire. Qu’a-t-elle apporté à cette œuvre qui échapperait à sa propre culture ibérique? Ne connaît-elle pas la tradition portugaise des modinhas, sorte de romances à la saveur discrète, mais tou jours teintée de nostalgie. En Espagne, ne danse-t-elle pas la seguidilla, le polo andalou ou encore le fandango très à la mode? Ne partage-t-elle pas avec son maître de musique sa passion pour la guitare? Cette relation rejoint l’art si mondain et si prisé alors de la conversation.
Mais entre eux, elle se passe de mots. Le contenu si original des 555 sonates vient donc de ce perpétuel échange entre Scarlatti et sa royale élève. Il est le ciment de leur entente, de leur estime, de leur dévouement réciproque, jusqu’à ce que la mort les sépare.

Une toute autre voie

Quelques années auparavant, Scarlatti avait quitté Rome où il écrivait pour le théâtre privé de la reine en exil, Maria Casimira, veuve du roi de Pologne, pour le Vatican qu’ il fournissait en musiques imposantes destinées à la chapelle Giulia, ainsi que pour l’ambassadeur du Portugal qui lui passait également commandes. Est-ce grâce à lui qu’il obtint ce poste à la cour de Lisbonne? La passion bizarre de Jean V pour les cérémonies d’église l’a-t-elle conduit à convoiter le compositeur du Vatican ?Toujours est-il que Scarlatti, arrivé à Lisbonne commence à affirmer son génie dans une toute autre voie.
Le roi lui offre un emploi enfin stable, sous un patronage sûr et les honneurs dus à son mérite, en admettant Scarlatti à l’ordre portugais de Santiago (en 1738).
Mais en suivant Maria Bárbara en Espagne, le compositeur trouve alors ses principales sources d’ inspiration.
Auprès d’elle Scarlatti rompt totalement avec son passé obscur de compositeur lyrique. Ses œuvres « de jeunesse » restent les Essercizi (1738) indices des brillantes sonates écrites avant 1750.
Elles annoncent la grande richesse poétique des suivantes (1752 -1 753) ainsi que les audaces des dernières sonates écrites de 1754 à sa mort. Scarlatti commence cet immense portique à plus de cinquante ans, et donnera l’essentiel de son génie à plus de 67 ans, réservant à son élève toujours autant de surprises et de plaisirs, même après plus de 400 sonates. Le musicologue américain Ralph Kirkpatrick, biographe de Scarlatti soutient que la vraie signification de ces sonates réside dans leur arrangement par paire. Ainsi, Scarlatti les aurait-il groupées selon une relation de complémentarité ou d’unité tonale (K. 460 K.461), également stylistique ou harmonique, mais aussi une volonté de contraste
(K.208, K.209).

Un immense portique

Les Essercizi, premières compositions audacieuses et abouties d’un homme de 53 ans, révèlent le vrai tempérament et les fondements du langage de Scarlatti. Chacun d’eux permet de résoudre un problème technique dont le fameux croisement des mains (K.25 K.2 7) mais la richesse de l’invention montre déjà en Scarlatti un professeur plus soucieux de style que de virtuosité. Rien n’y est ordinaire ou orthodoxe. Tout y est varié et si léger (K.1 K.9 K.14) !

La totalité des sonates qui suivra confirme les audaces d’un vocabulaire toujours plus étonnant et séduisant. Scarlatti rompt avec la tradition de l’écriture pour orgue, beaucoup trop compacte, en brisant les lignes du contrepoint. Dans sa manière unique d’effleurer les courbes mélodiques d’ornements, indissociables cependant de la texture musicale, il sacrifie à l’hédonisme ambiant au XVIIIe siècle, mais cherche également l’émotion. Tout mouvement conjoint finit par s’ouvrir et bondir en grands sauts. Les notes répétées peuvent se transformer en mélodie et la courbe mélodique se rétracter à son tour. Les dissonances se résolvent en consonances, lesquelles s’enrichissent d’altérations, de notes voisines, par des procédés inattendus. Le majeur devient mineur et inversement.
La rigidité de la forme binaire à reprises, à laquelle s’en tient Scarlatti disparaît sous une avalanche de surprises tant mélodiques que rythmiques des Essercizi à la dernière de ces sonates (K 1 à K 555),
Scarlatti en fera une forme ouverte essentiellement monothématique, la deuxième partie étant toujours une sorte d’extension inventive de la première.
Tout l’édifice tient comme une voûte romane, par les tensions et les conflits qui finissent par créer son équilibre et sa solidité.
Scarlatti y excelle dans l’art de séduire dans l’imaginaire et l’ indicible en ne cachant pas son goût des contrastes. Le mouvement, intrinsèque aux rythmes chorégraphiques ou insufflé au discours musical,
les ornements, la virtuosité, tout procède d’une prodigalité cherchant néanmoins à émouvoir par de subtiles sensations propres à désespérer une âme commune.

(à suivre…CD2)

Catherine Michaud-Pradeilles

Calder et la musique

(CD Centre Georges Pompidou)

L’art des sons

En 1913 sur fond de scandale provoqué par Schoenberg et Stravinsky, les bruiteurs italiens, en un manifeste libertaire rompent le « cercle restreint des sons purs » amenant Satie à introduire plus tard, dynamo, machine à écrire et sirènes dans Parade Ainsi tombent les frontières, car pour leurs héritiers la négation de la tonalité et la condamnation de l’orchestre traditionnel se transforme, après guerre et pour un demi-siècle, en une démarche carrément subversive. Dirigée vers l’utopie d’une musique sans mélodie, au-delà de l’harmonie et de la couleur instrumentale, elle introduit bruits et sonorités insolites, en nourrissant le désir de ne plus se vouer à l’écriture mais au son lui-même. Ainsi, en s’appuyant sur les conquêtes de la physique et les théories mathématiques devient-il matériau, à stocker, à distordre, à transformer, à étirer, à filtrer et à doter d’une quatrième dimension, la spatialité. De ce contact direct naissent grâce aux sortilèges de la machine, assistante ou sujet, des œuvres qui dans la société fatiguée de l’après guerre invitent à l’évasion ou au désir. C’est une musique nouvelle à percevoir, hors de toute culture, pour susciter le rêve et non le mettre en œuvre. Elle est d’inspiration généreuse, parfois exubérante et témoigne d’une aventure de l’art, joyeuse et poétique. Le bruit, indicatif du monde épouse le dynamisme naturel des sons musicaux tout en empruntant à la danse les rythmes essentiels de la vie. Les convictions d’E. Varèse sont convaincantes, l’humour et le goût de l’indétermination de J. Cage contagieux, le langage inventif de Pierre Henry engageant.  En ce temps là, le concert se préparait comme une cérémonie symbolique, où la raison n’avait pas sa place.