Musique sacrée à la cour de Saxe

ENGLISH VERSION

Musique sacrée à la cour de Saxe
Programme

Jan Disma Zelenka  –  Neuf répons pour le Vendredi Saint.
Jean Sebastien Bach – Messe brève en la majeur BWV 234


Dans les feux du baroque

Au cœur du XVIIIe siècle, une Allemagne de villes et de principautés éparpillées lutte pour son équilibre et son identité. La France, pays de la raison sert déjà de référence. En réalité baragouiner français et singer Versailles n’offre qu’un étroit pis aller. Cette Allemagne désarmée tourbillonne au seuil du Siècle des Lumières, entre mimétisme et revendication, raison et démesure, scepticisme et foi, libertinage et  dévotion. Dans ce foisonnement, Jean Sébastien Bach et Jan Dismas Zelenka participent chacun à leur manière, au combat pour la stabilité.

Bach signe le 5 mai 1723 un contrat avec le Conseil de la ville de Leipzig, bastion de la foi luthérienne et devient ainsi kantor de l’église Saint-Thomas et director musices de la cité. De son côté, Zelenka est nommé en 1729, Directeur de la musique religieuse d’un prince catholique, l’électeur de Saxe. Dès lors, sur la même toile de fond et malgré leur admiration réciproque, leurs routes musicales ne pourraient se croiser.

Les fastes du catholicisme

A Dresde, si ses sujets sont protestants, l’Electeur Auguste II le Fort est catholique converti. Sensible à l’art baroque, il transforme sa ville en une fastueuse résidence royale, baptisée « la Florence de l’Elbe ».

A son arrivée à Dresde en 1710, comme contrebassiste de la Chapelle, Jan Dimas Zelenka, échappe donc à la conquête générale de l’identité germanique et à l’emprise religieuse de Luther. Dresde est une ville d’art, un îlot italianisant dont on vante partout l’orchestre et la splendeur de son opéra

Si les premiers éclats de son nouveau discours religieux voisin de l’opéra lui appartiennent (dans ses messes notamment), Zelenka préfère renouer, pour ses Responsoria pro hebdomada sancta. Avec l’esprit tridentin et s’en remettre au stile antico de la polyphonie, emprunté à la Renaissance en général et à Palestrina en particulier.

Zelenka renonce donc à la musique décorative quand il compose ces Répons pour la semaine sainte de l’année 1723.

Responsoria pro Hebdomada Sancta

La liturgie du Triduum pascal (les jeudi, vendredi et samedi de la semaine sainte) se compose de trois offices nocturnes par jour. Chaque nocturne comporte trois lectures chantées suivies chacune d’un répons. Il existe donc, pour les trois jours, vingt sept répons répartis à raison de neuf par jour.

Traditionnellement un répons se découpe de la manière suivante : un corps de texte suivi d’un verset généralement à voix seule, suivi de la reprise ou « réclame » reprenant le corps du texte en son milieu.

Répons du vendredi saint

Leur texte en latin se rapporte à l’arrestation du Christ, à son supplice, à sa mort sur la croix et se termine par une déploration compatissante sur son abandon.

Premier nocturne : Omnes amici mei (tous mes amis) ; Velum templi scissum es (le voile du temple se déchira) ; Vinea mea alecta (ma vigne élue).

Deuxième nocturne : Tamquam ad latronem (comme pour un brigand); Tenabrae factae sunt  (les ténèbres se firent); Animam meam dilectam (mon âme bien-aimée, je l’ai livrée) ;

Troisième nocturne : Tradiderunt me (ils m’ont livré); Jesum tradidit impius (Jésus a été trahi par un impie) ; Caligaverunt oculi mei (mes yeux se sont voilés).

Profondément pieux, Zelenka s’attache au texte liturgique, avec la ferme intention d’asservir la musique aux mots. Se faisant, il s’inscrit dans l’univers polyphonique du motet, régi par les lois du contrepoint et où l’intelligence garde le contrôle de l’expression, aussi dramatique soit-elle.

Ainsi, le texte est découpé en séquences rendues sensibles par l’alternance de l’écriture en imitation et de l’écriture verticale mais aussi, pour chacune d’elles par un nouveau matériel mélodique. Suivant la tradition, Zelenka confie le corps du texte au chœur et réserve les versets aux solistes. Mais cela peut être l’inverse. D’essence plus ardente ces versets, de solistes abandonnent alors le syllabisme pour de plus amples et extatiques vocalises. Ces griseries étoffées de chromatisme, émaillent d’italianisme un discours qui laisse deviner par ailleurs ses sources grégoriennes.

Un accompagnement instrumental confié à l’orgue, doublé d’une basse d’archet (et éventuellement d’un théorbe) écrit « colla parte » double donc les voix et les suit note à note.

Les cibles de Luther

Partie à la reconquête de sa puissance économique, mais à grand renfort de préceptes moraux, Leipzig, place sa nostalgie d’unité sous l’autorité de l’église. A son arrivée, Bach s’engage donc dans tous les domaines de la musique excepté l’opéra. Il s’y engage en homme de foi et en souscrivant pleinement aux articles du dogme luthérien. Ce dernier modifie la nature de la messe catholique et universelle, qui ne s’ordonne plus autour du sacrifice eucharistique et peut ainsi revêtir une grande diversité de modalités d’organisation.

A Leipzig, elle mêlait motets, chorals, lectures et cantates aux prières de l’Ordinaire de la messe chantées par l’assemblée des fidèles : Kyrie, Gloria en latin (ou en allemand Allein Gott), Credo en Allemand, Wir glauben all an einen Gott, Sanctus.

Pour quel fêtes solennelles, Bach a eu l’occasion de composer des messes mêlant les voix et les instruments.

A Leipzig il élabore cinq cycles de Kirchenmusiken dont quatre missae (BWV 233 à 236) en langue latine. Luther en effet, très pragmatique estime qu’il est bon de chanter en latin « aux grandes fêtes ». A Leipzig ville universitaire la langue latine avait été conservée de toute façon aux offices. Il est probable que les quatre missae (constituées du Kyrie et du Gloria) aient été composée entre 1735 et 1744.

Missa en la majeur,  BWV 234.

Kyrie ; Gloria – Domine Deus – Qui tollis peccata mundi – Quoniam tu solus – Cum Sancto spiritu.

Ecrite pour la fête de Nöel, probablement en  1738 puis redonnée ensuite plusieurs fois, jusqu’en 1748, cette missa réutilise à l’exception du Kyrie, quelques fragments des cantates BWV 67, 79, 136 et 179 antérieures à sa composition. Mais devant l’ampleur de sa tâche, qui ne lui laisse aucun répit, Bach fut souvent contraint de trouver quelque solution pour gagner du temps.

L’effectif réunit trois solistes (soprano, alto, et basse), un chœur et un ensemble instrumental composé de deux flûtes, cordes et continuo (orgue et basse à cordes). La destination de cette œuvre explique certainement le choix des flûtes, instruments de la tendresse chez Bach.

Kyrie eleison. Voix et instruments se répondent interrompus par une ritournelle instrumentale  de style concertant. Au centre, (Christe Eleison) les voix entrent en imitation et défilent sur une pédale d’orgue très sombre. Le retour au Kyrie Eleison, est une fugue dialoguée entre vois et instruments.

Gloria. Courte louange collective fuguée interrompue par l’adagio de l’Et in terra pax accompagné à la flûte. Le retour de la fugue sur Laudamus te inaugure, l’enchaînement de trois parties (adoramuste, glorificamus te, gratias agimus tibi) utilisant alternativement le matériel thématique de la fugue ou de l’adagio.

Domine deus. Air de basse en trio, introduit par le violon dont la mélodie parcourue d’un intervalle de quinte descendante, sous tend le discours vocal, très sobre et méditatif.

Qui tollis peccata mundi. Air de soprano introduit par les flûtes et les cordes où la voix et les instruments disposent d’une totale indépendance mélodique.

Quoniam tu salus. Air d’alto sur un thème plus énergique.

Cum sanctus spiritu. L’introduction très lente, ne dure que trois mesures, suivies aussitôt par une fugue de style concertant dont l’écriture plus ornée, requiert le vocabulaire habituel de vocalises, trilles, etc.

L’Amen très solennel réunit toutes les voix.

Bach se pose une fois encore en grand architecte. Il est vrai qu’il juxtapose les épisodes, en scindant le Gloria en cinq séquences qu’il différencie en permanence. Dans un équilibre savamment dosé alternent mouvements rapides et lents. Se suivent chœurs polyphoniques fugués et arias de solistes de style concertant. Bach accroche spontanément à sa musique quelques symboles convenus du figuralisme baroque. Mais les procédés de construction priment au nom de la ligne thématique intouchable, même si broderies et vocalises distendent les mots.  Tout se passe comme si Bach avait voulu substituer au désordre engendré par le tiraillement des mots, l’ordre absolu de la symétrie. Le climat intime renforcé par le choix des tonalités, les louanges, tout respire la foi et la jubilation personnelle du luthérien devant la promesse de rédemption. La petite « sinfonia » d’ouverture et les ritournelles instrumentales placés entre les strophes des airs, spéculent sur le plaisir mais par les mots qui précèdent et par ceux qui suivent Bach les a intronisés au sein de la conscience. Ils ne peuvent rompre ni l’harmonie, ni l’équilibre de cette œuvre de paix.

Ainsi l’un, Bach en épousant son siècle comble ici les vides d’une religion sans images à l’aide de codes dont tout un peuple possède les clés. L’émotion conduit toujours au sens des mots.

L’autre, Zelenka arrive à respecter un message liturgique tout en plaçant la liturgie sous le fluide charnel de la musique. Et pourtant, n’ont-ils pas pris tous deux le parti de la piété et de l’équilibre ?



ENGLISH VERSION

Sacred music at the Saxony Court

Program :

Jan Disma Zelenka – 9 Responsoria pro Hebdomada Sancta

Johann Sebastian Bach –  Missa brevis in A major BWV 234


In the lights of baroque art

During the 18th century, a Germany of scattered cities and principalities struggles for its balance and identity. France, while being the country of reason, serves as a reference. But to talk broken French and to imitate Versailles are just only better than nothing.

Reality is, that this unarmed Germany swirls on the threshold of the Age of Enlightenment, between mimicry and demands, reason and excess, scepticism and faith, libertinism and devotion. In this proliferation, Jean Sébastien Bach and Jan Dismas Zelenka each participate in their own way, in the fight for stability. Bach signed a contract on May 5, 1723 with the City Council of Leipzig, a bastion of the Lutheran faith, and thus became Kantor of the Church of St. Thomas and director of the city’s music. For his part, Zelenka was appointed in 1729, Director of Religious Music for a Catholic prince, the Elector of Saxony. Therefore, against the same backdrop and despite their mutual admiration, their musical paths could not cross.

The splendours of Catholicism

In Dresden, his subjects are Protestants, but the Elector Augustus II the Strong is a Catholic convert., sensitive to baroque art. So, he transforms his city into a sumptuous royal residence, called « the Florence of the Elbe ».

When he arrives in Dresden in 1710, Jan Dimas Zelenka as Chapel bassist, therefore, escapes to the general conquest of Germanic identity and to the religious ascendancy of Luther. Dresden is a city of art, an Italian island. Its orchestra and the splendor of its opera are praised everywhere.

The first brightness of a new religious discourse related to opera belong to  Zelenka. (particularly in his masses). But for his Responsoria pro Hebdomada Sancta, he prefers to renew with the Tridentine spirit and to rely on the antico style of the polyphony, borrowed from the Renaissance, in general, and from Palestrina in particular. So, Zelenka gives up decorative music when he composes these Responses for the Holy Week, in 1723.

Responsoria pro Hebdomada Sancta

The liturgy of the Paschal Triduum (Thursday, Friday and Saturday of Holy Week) consists of three nocturnal services a day. Each nocturnal has three sung readings, each followed by a respons. So, there are, for the three days, twenty-seven responses distributed at the rate of nine a day. Traditionally, a response is divided as that: a text, followed by a verse generally in a single voice, then by the repetition or « réclame” which repeats only the half of the text.

Répons for the Holy Friday

Their Latin text relates the Christ’s arrest, his torture, his death on the cross and ends with a compassionate lamentation over his abandonment.

  • First nocturnal: Omnes amici mei (all my friends); Velum temple scissum es (the veil of the temple was torn); Vinea meaalecta (my chosen vine).
  • Second nocturnal: Tamquam ad latronem (as for a brigand); Tenabrae factae sunt (darkness fell); Animam meam dilectam (my beloved soul, I have delivered it);
  • Third nocturnal: Tradiderunt me (they delivered me); Jesum tradidit impius (Jesus was betrayed by an ungodly); Caligaverunt oculi mei (my eyes are cloudy).

Zelenka is very pious, so he accords a very big importance  to the liturgical text, with the real intention of subjugating music to words. By doing that, he fits in the polyphonic universe of the motet governed by the laws of counterpoint. In a motet, the intelligence retains control of the expression, as dramatic as it is.

Thus, the text is divided into sequences made sensitive by the alternation of imitation writing and vertical writing as well as by a new melodic material. According to tradition, Zelenka entrusts principal text to the choir and reserves the verses for the soloists. But he can do the opposite. These more ardent versets abandon the syllabism for fuller and ecstatic vocalizations. These chromatics heady pleasures punctuate of italianisma music which not hide its Gregorian sources. An instrumental accompaniment given to the organ, doubled by a bow bass (and possibly a theorbo) written « colla parte » therefore doubles the voices and follows them note by note.

Luther’s targets

Going to the reconquest of its economic power, but with great reinforcement of moral precepts, Leipzig, places its nostalgia for unity under the authority of the church. On arrival, Bach therefore became involved in all areas of music except opera. He engages as a man of faith and subscribing to all the articles of Lutheran dogma. This one changes the nature of the Catholic and universal Mass, which is not anymore organized around the Eucharistic sacrifice and can thus take on a great diversity.

In Leipzig, mass mixed motets, choral readings and cantatas with the prayers of the ordinary mass sung by the assembly of the faithful: Kyrie,Gloria in Latin (or in German Allein Gott), Credo in Latin (or in German, Wir glauben all an einen Gott), Sanctus.

Bach composedfor some solemn feats Masses mixing voices and instruments. In Leipzig he produced five cycles of Kirchenmusiken including four masses (BWV 233 to 236) in Latin. Luther, in fact, very pragmatic, believes that it is good to sing in Latin « at the feast days”. The university city, of Leipzig kept the Latin language in the offices anyway. Probably, the four masses (consisting of Kyrie and Gloria) were composed between 1735 and 1744.

Missa in A major, BWV 234.

Kyrie.
Gloria : Domine Deus – Qui tollis peccata mundi – Quoniam tu solus – Cum Sancto spiritu – Amen.

Written for Christmas celebrations, probably in 1738 and then performed several times, until 1748, this masse reuses, with the exception of Kyrie, some fragments of the cantatas BWV 67, 79, 136 and 179 prior to its composition. The magnitude of Bach’s work, which left him no respite, forced him to find some solution to save time.

The workforce brings together three soloists (soprano, viola, and bass), a choir and an instrumental ensemble of two flutes, strings and continuo (organ and bow bass). The destination of this work certainly explains the choice of flutes, instruments of tenderness in Bach’s mind.

Kyrie eleison. Voices and instruments respond to each other interrupted by an instrumental ritornello always in concertante style. Christe eleison. The voices enter in imitation style and defile over a very dark organ pedal. Kyrie eleison. Fugue where the voices dialogue with the instruments.

Gloria. Short fugue, a collective praise interrupted by the adagio of the Et in terra pax, accompanied on the flute. The return of the fugue to Laudamuste inaugurates the three parts sequence (adoramuste, glorificamuste, gratias agimustibi) alternately using the thematic material of the fugue or this of the adagio.

Domine deus. Trio bass aria, introduced by the violin whose melody traversed by an interval of descending fifth, underlies the vocal discourse, very sober and meditative.

Qui tollis peccata mundi. Soprano aria introduced by the flutes and strings where the voice and the instruments have total melodic independence.

Quoniam tu salus.Alto aria on a more energetic theme.

Cum sanctus spiritu.The very slow introduction, lasts only three bars.It is immediately followed by a concertante-style fugue. Its more ornate writing requires the usual vocabulary of vocalizations, trills, etc. The solemn and vertical Amen unites all voices.

Bach once again land him as a great architect. He juxtaposes the episodes, dividing the Gloria into five sequences that he constantly differentiates. In a erudite moderate balance, alternate rapid and slow movements, polyphonic choirs and concertante style arias for soloist. Spontaneously Bach attaches to his music some agreed symbols of baroque figuralism. But the construction procedure takes precedence on untouchable thematic line. The words adapt to the music, but sometime distended by vocalizations and embroidery. Bach  wanted to substitute for the disorder generated by mistreated words, the absolute order of symmetry and of a very strict curve. The intimate atmosphere reinforced by the choice of tones, the praises, everything breathes the faith and the personal jubilation of the Lutheran in front of the promise of redemption. The small opening « sinfonia » and the instrumental ritornellos placed between the stanzas of the arias, speculate on the pleasure. But by the words preceding and by those following Bach enthroned them into the bosom of consciousness. They cannot upset the harmony or the balance of this work of peace.

Thus one, Bach by marrying his century fills the gaps of a religion without images using  codes which a whole people have  the keys. The emotion always divulges the meaning of words.

The other, Zelenka, while placing the liturgy under the carnal fluid of music, whoever respects a liturgical message. And however, haven’t they both taken side with piety and balance?

 

Vivaldi – Haendel


ENGLISH VERSION

Programme

Antonio Vivaldi (1678 – 1741)
Nisi dominus RV 608
Motet d’après le psaume 127 « Si le Seigneur ne construit la maison »

Georg Friedrich Haendel (1685 – 1759)
Silete venti HWV 242
Motet latin


Vivaldi, Haendel… L’un, profondément italien, est chevillé à sa ville, la Venise du XVIIIe s., celle de Goldoni appréciée pour ses maisons de jeux et ses théâtres, mais où l’art de bien chanter est descendu dans la rue. L’autre, le saxon, le germanique qui ne fait jamais de concession, mais partit pour l’Angleterre, y devint célèbre et le plus international des musiciens de sa génération.
Pourtant rien ne les oppose, car tous deux, en hommes de théâtre, ont su parfaitement comment conquérir un public, avec brio, sans frontière sensible entre les styles religieux et profanes.

Le Nisi Dominus de Vivaldi possède de nombreux atouts, son contenu poétique en particulier qui lui dicte d’une part le découpage de cette œuvre en six versets auxquels s’ajoute une doxologie tripartite (Gloria Patri, Sicut era in principio et l’Amen final) et d’autre part, une musique pour laquelle il choisit toujours le précédé qui lui donne le plus de force expressive. Un mot peut soudain la lancer dans quelque irrésistible vertige musical, aux sonorités insolites. L’accompagnement instrumental si systématique qu’il peut aller jusqu’à l’ostinato (verset IV cum dederit) contraste avec la ligne très libre et très fluide de la voix. Partout voix et cordes se répondent ou cheminent ensemble, dans le plus pur style concertant. Toute la force de séduction de ce psaume repose sur l’art des contrastes, l’alternance des rythmes lents et rapides, les changements brutaux d’atmosphère.

Haendel quant à lui manifeste dans Silete venti ce goût de la phrase pleine qui emporte chanteur et auditeurs dans la même respiration. Ce talent il le doit aux italiens. Ce motet d’origine inconnue a peut-être été écrit en 1707, lors du séjour qu’il fit entre Venise et Rome. Mais sa sinfonia d’ouverture, débute comme un opéra baroque français en mouvement lent de rythme pointé, suivi d’un pittoresque tourbillon des vents auquel la voix met brutalement fin (Silete taisez-vous). Récits et airs de style concertant alternent ensuite. Haendel sort ici du chemin de la piété luthérienne qu’il dépasse dans un dialogue direct avec le Christ (suave Cher Jesus) puis dans la contemplation et la joie. Sensualité empruntée à l’opéra et triomphalisme, l’éloignent encore du milieu ecclésiastique. Puis, conformément à une tradition qui remonte au chant grégorien l’Alleluia final se perd dans de vastes vocalises jubilatoires.



ENGLISH VERSION

Program

Antonio Vivaldi (1678 – 1741)
Nisi dominus RV 608
Motet from Psalm 127 « Unless the Lord builds the house »

Georg Friedrich Handel (1685 – 1759)
Silete venti HWV 242
Latin motet


Vivaldi, Handel… The one, deeply Italian, is rooted in his city, the Venice of the 18th century, that of Goldoni appreciated for its gaming houses and its theaters, and where the art of singing has taken to the street. The other, the Saxon, the Germanic never made any concessions, and left for England, became famous there and the most international musician of his generation. However, nothing opposes them, because both, talented for the theater, knew perfectly how to conquer an audience, brilliantly, without any sensitive border between religious and secular styles. Vivaldi’s Nisi Dominus has many advantages.   Its poetic content dictates to the composer,  first its division into six verses to which is added a tripartite doxology (Gloria Patri, Sicut era in principio and the Amen final ) and secondly, for his music a choice of many procedure which give her the most expressive force. A word can suddenly launch her into some irresistible musical  dizziness, with unusual sounds. The instrumental accompaniment so systematic that it can goes as far as ostinato (verse IV cum dederit) contrasts with the very free and very fluid line of the voice. Everywhere voices and strings respond to each other or walk together, in the purest concertante style. All the seductive force of this psalm comes from the art of contrasts, the alternation of slow and fast rhythms, brutal changes of atmosphere.

Handel, for his part, manifests in Silete Venti this taste for the full sentence which carries singer and listeners in the same breath. He owes this talent to the Italians. This unknown origin motet may have been written in 1707, during Handel is moving between Venice and Rome. But its overture sinfonia begins as French Baroque opera with a slow and sharp rhythm, followed by a picturesque whirlwind of wind instruments abruptly  interrupted by the voice (Silete !  – shut up). Then alternate recitative and  concertante style arias. Handel here goes out of the path of Lutheran piety.  He is beyond it,  in a direct dialogue with Christ ( Dear Jesus) then in contemplation and joy. Sensuality borrowed from opera some triumphalism again  distance him from the ecclesiastical circle. Then, in accordance with a tradition which dates back to Gregorian chant, the final Alleluia ends in a vast jubilant vocalizations.

Récital de clavecin

ENGLISH VERSION


Récital de clavecin
Soliste : Mario Raskin

Petits textes pour le programme

Le clavecin des Lumières

La dernière école de clavecin, reste fidèle au style français de François Couperin mêlant à un style pimpant, à la rayonnante ornementation et au libre badinage quelques coquetteries italiennes, tirées de mélodies souples et sensuelles. Elle aussi  peint, dessine des portraits,  narre des événements, s’inspire de la nature et hante les jardins de Le Nôtre. Toujours à mi-chemin entre rêve et réalité, Jacques Duphly et Pancrace Royer observent les autres, tandis que Domenico Scarlatti suggère son pays d’adoption, mieux que ne le ferait un espagnol et que le Padre Soler sur ses traces réinvente un folklore proprement ibérique.

C’est assis devant leur clavier plus en symphonistes, qu’en témoins discrets, qu’ils livrent leurs ultimes pages. Malgré les somptueux accents, qui les parcourent, les sentiments pré romantiques qui soulèvent l’Europe, obligent le clavecin à livrer un combat perdu d’avance avec le pianoforte. L’instrument des princes est amené à disparaître, non sans avoir brillé de ses derniers feux.

Les Lumières s’éteignent définitivement à la Révolution, mais justement, Duphly ne meurt-il pas oublié de tous, le matin du 15 juillet 1789 ?


Jacques Duphly (1715 – 1789)

On le disait toujours « vêtu de satin noir et de velours cramoisi ». Elégant, mystérieux, célèbre, il est le maître de clavecin que toute la haute société  parisienne s’arrache, jusqu’à la publication de son dernier Livre de  Pièces de clavecin en 1768.

Premier Livre de Pièces pour le Clavecin (1744)

  • Allemande en do m
  • La Boucon (Courante)
  • Deux rondeaux

Troisième Livre de Pièces  pour le Clavecin (1756)

  • La Forqueray
  • Médée

 Pancrace Royer (1705 – 1755)

« Voyez un peu quel vertigo [colère soudaine] lui prend » écrit  Molière dans 
Monsieur de Pourceaugnac. Quand il se consacre au clavecin, le sens dramatique ne manque pas à cet homme de théâtre, très en vue, occupant à Paris et à la Cour de nombreux postes officiels.

  • L’incertaine
  • L’aimable
  • Le vertigo

Domenico Scarlatti (1685 – 1757)

Napolitain de naissance, espagnol de cœur et d’esprit, il lègue à son unique élève, la reine d’Espagne, un des sommets de la musique de clavecin du XVIIIe  siècle,  ses 555 Essercizi et Sonates aux savoureuses couleurs locales et criblés d’emprunts à la guitare.

  • Sonate K.211 (andantino)
  • Sonate K.460 (allegro)
  • Sonate K 234 (andante)
  • Sonate K.551 (allegro)

Padre Antonio Soler (1729 – 1783)

Ce moine hiéronymite, organiste du monastère de l’Escorial, prit Scarlatti pour modèle afin d’enseigner le clavecin au fils de Charles III,  l’Infant Gabriel. Pour lui il écrivit 150 Sonates, véritable concentré de virtuosité et de citations locales.

  • Sonate R.45 en sol M
  • Sonate R.49 en m
  • Sonate R.84 en M
  • Sonate R.90 en fa dièse M


ENGLISH VERSION

Harpsichord recital by Mario Raskin

The Harpsichord at the age of the Enlightenment

The last harpsichord school remains faithful to the French style of François Couperin, mixing a dapper style, to the radiant ornamentation, and  free banter, again some Italian coquetries, drawn from supple and sensual melodies. She also paints, draws portraits, narrates events, inspired by nature and haunting the gardens of Le Nôtre. Always halfway between dream and reality, Jacques Duphly and Pancrace Royer observe the others, while Domenico Scarlatti suggests his adopted country, better than a Spaniard would and while Padre Soler following in his footsteps reinvents a truly Iberian folklore.

It is, seated in front of their keyboard more as symphonists, than discreet witnesses, that they deliver their final pages. Despite the sumptuous accents that run through them, the pre-romantic feelings that rouse in Europe, oblige the harpsichord to engage in a losing battle with the pianoforte. The instrument of the princes is going to disappear, not without having shone with its last lights.

The Enlightenment was definitively extinguished during the Revolution, but did not Duphly die, forgotten by all, on the morning of July 15, 1789?

Jacques Duphly (1715 – 1789)

He was always « dressed in black satin and crimson velvet. » Elegant, mysterious, famous, he was the harpsichord master that all Parisian high society had won over, until the publication of his last Livre de Pièces de Clavecin in 1768.

Premier livre de Pièces pour le Clavecin  (1744)

  • Allemande in do m
  • La Boucon (Current)
  • Two rondeaux

Troisième livre de Pièces pour le Clavein  (1756)

  • La Forqueray
  • Medée

Pancrace Royer (1705-1755)

“Voyez un peu quel vertigo ( sudden anger) le prend » writes Molière in Monsieur de Pourceaugnac. When he devotes himself to the harpsichord, this man  talented with theatre  however keeps his real dramatic sense. He was very famous, occupying many official positions in Paris and at the Court.

  • L’incertaine
  • L’aimable
  • Vertigo

Domenico Scarlatti (1685 – 1757)

Neapolitan by birth, Spanish in heart and mind, he gave to his only pupil, the Queen of Spain, the best of harpsichord music of the 18th century. His 555 Essercizi and Sonates with tasty local colors and  many loans to the guitar.

  • Sonata K. 211 (andantino)
  • Sonata K. 460 (allegro)
  • Sonata K 234 (andante)
  • Sonata K. 551 (allegro)

Padre Antonio Soler (1729 – 1783)

This hieronymite monk, organist of the Escorial monastery, took Scarlatti as a model to teach the harpsichord to Charles III’s son, the Infant Gabriel. For him he wrote 150 Sonatas, a true concentrate of virtuosity and local quotations.

  • Sonata R.45 in G
  • Sonata R.49 in D m
  • Sonata R.84 in D
  • Sonata R.90 in F sharp